Réconciliation

Sommaire

Introduction

1 RĂ©conciliation : condition pour l’intĂ©gration parfaite de l’ĂȘtre humain avec lui-mĂȘme, avec Dieu, avec la communautĂ© ecclĂ©siale, avec la sociĂ©tĂ© et avec le cosmos

2 L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation dans les Saintes Écritures

2.1 PĂ©chĂ© – misĂ©ricorde – conversion, dans l’Ancien Testament

2.2 PĂ©chĂ© – misĂ©ricorde – conversion, dans le Nouveau Testament

3 L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation dans la pratique de l’Église

3.1 SiÚcles I-VI : réconciliation par la pénitence canonique

3.2 SiÚcles VII-XI : réconciliation par la pénitence tarifée / privée

3.3 SiÚcles XI-XX : réconciliation par la pénitence de confession

4 L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation proposĂ©e dans le Rituel de la PĂ©nitence de 1973 et ses dĂ©fis pastoraux

4.1 Le Rituel de la Pénitence de 1973

4.1.1 Points forts théologico-liturgiques

4.1.2 ProgrĂšs et limites

4.2 CĂ©lĂ©brer la rĂ©conciliation aujourd’hui : pistes d’action

Références

Introduction

L’approche du sacrement de la rĂ©conciliation se fera Ă  partir des points suivants : 1) La rĂ©conciliation comme condition pour l’intĂ©gration parfaite de l’ĂȘtre humain avec lui-mĂȘme, avec Dieu, avec la communautĂ© ecclĂ©siale, avec la sociĂ©tĂ© et avec le cosmos ; 2) L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation dans les Saintes Écritures ; 3) L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation dans la pratique de l’Église (approche historico-thĂ©ologique) ; 4) L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation proposĂ©e dans le nouveau rituel de la pĂ©nitence et ses dĂ©fis pastoraux.

1 RĂ©conciliation : condition pour l’intĂ©gration parfaite de l’ĂȘtre humain avec lui-mĂȘme, avec Dieu, avec la communautĂ© ecclĂ©siale, avec la sociĂ©tĂ© et avec le cosmos

Parmi les questions existentielles posĂ©es par l’ĂȘtre humain au fil de l’histoire, peut-ĂȘtre que celle qui le trouble le plus est la quĂȘte de la paix. Parmi les multiples formes de comportement, tant au niveau personnel que social, il en est qui gĂ©nĂšrent de graves ruptures qui dĂ©passent le cadre des relations humaines, au point de mettre en danger la viabilitĂ© mĂȘme de la vie sur la planĂšte. Il semble que les divisions et tensions dans le monde tendent Ă  se dĂ©velopper en cercles concentriques, c’est-Ă -dire depuis de simples conflits interpersonnels et familiaux jusqu’à de grands blocages causĂ©s par les intĂ©rĂȘts politiques des peuples et des nations. Le pape François, dans sa Constitution apostolique Veritatis Gaudium, met en lumiĂšre avec luciditĂ© certains aspects de cette question :

D’autant plus qu’aujourd’hui, nous ne vivons pas seulement une Ă©poque de changements, mais un vĂ©ritable changement d’époque, caractĂ©risĂ© par une “crise anthropologique” et “socio-environnementale” globale, dans laquelle nous constatons chaque jour davantage “des symptĂŽmes d’un point de rupture, Ă  cause de la vitesse Ă©levĂ©e des changements et de la dĂ©gradation, qui se manifestent tant dans les catastrophes naturelles rĂ©gionales que dans les crises sociales ou mĂȘme financiĂšres”. En derniĂšre analyse, il s’agit de “changer le modĂšle de dĂ©veloppement global” et de “redĂ©finir le progrĂšs” (VG n.3).

Ce changement et cette redĂ©finition du modĂšle comportemental auquel le Pape se rĂ©fĂšre peuvent ĂȘtre associĂ©s au mot “rĂ©conciliation”, si cher Ă  la tradition biblique et liturgique. Il est bien connu que l’ĂȘtre humain aspire, dans son essence, Ă  un monde meilleur, juste, fraternel, rĂ©conciliĂ©. La concrĂ©tisation d’une telle aspiration exige de la personne de bonne volontĂ© la dĂ©cision de se mettre dans un processus continu de metanoia, de changement radical de sa maniĂšre de penser, d’agir et de ressentir. En effet, l’ĂȘtre humain “n’est ni un ‘non’, ni un ‘dĂ©jà’, mais un ‘pas encore’, un ĂȘtre inachevĂ© appelĂ© Ă  se perfectionner, qui doit ĂȘtre crĂ©atif et se sentir appelĂ© Ă  lutter et Ă  avancer” (BOROBIO, 2009, p.298).

La rĂ©conciliation est une condition sine qua non pour qu’il y ait une intĂ©gration parfaite de l’ĂȘtre humain avec lui-mĂȘme, avec Dieu, avec la communautĂ© ecclĂ©siale, avec la sociĂ©tĂ© et avec le cosmos lui-mĂȘme. Ce processus commence, en premier lieu, par la reconnaissance des limites et des faiblesses qui induisent l’ĂȘtre humain Ă  des pratiques illicites et injustes.

La rĂ©conciliation est donc fausse lorsqu’elle consiste Ă  fermer les yeux sur la rĂ©alitĂ© en feignant qu’elle n’existe pas ; ou lorsqu’on commence par s’absoudre entiĂšrement soi-mĂȘme ; ou encore lorsqu’on prĂ©tend se rĂ©concilier en anĂ©antissant l’autre ; ou en renonçant Ă  tout effort de rĂ©conciliation en se disant : “Il n’y a rien Ă  faire”. Ces voies sont fausses car elles nient, en principe, la condition de base de toute rĂ©conciliation : accepter les deux pĂŽles ou rĂ©alitĂ©s qui doivent ĂȘtre rĂ©conciliĂ©s. (BOROBIO, 2009, p.297)

La rĂ©conciliation est donc le fruit d’un processus de conversion continu qui imprĂšgne toute action humaine, depuis la simple tĂąche quotidienne jusqu’aux actions de plus grande envergure telles que : la solidaritĂ©, la correction fraternelle, le pardon mutuel, l’engagement pour la justice, l’implication dans la dĂ©fense de la vie sur la planĂšte, etc. Ainsi, cette comprĂ©hension de la “conversion” et la “rĂ©conciliation” qui en dĂ©coule dĂ©passent l’idĂ©e que le pardon de Dieu se limite uniquement au moment de cĂ©lĂ©bration sacramentelle de la rĂ©conciliation.

2 L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation dans les Saintes Écritures

L’histoire d’IsraĂ«l est marquĂ©e par l’intervention constante de celui qui est “patient et misĂ©ricordieux”, qui ne tient pas compte des fautes et des pĂ©chĂ©s de ce peuple (Ps 130,3). Cette action salvifique de l’Éternel traverse toute l’Écriture Sainte. Bien que d’autres approches du thĂšme soient possibles, dans le cadre de ce texte, nous avons choisi d’examiner l’expĂ©rience de la rĂ©conciliation Ă  travers la triade : pĂ©chĂ© – misĂ©ricorde – conversion (cf. NOCENT, 1989, p.149-154).

2.1 PĂ©chĂ© – misĂ©ricorde – conversion, dans l’Ancien Testament

a) Le pĂ©chĂ© remonte aux origines, c’est-Ă -dire au moment oĂč l’ĂȘtre humain aspire Ă  prendre la place de Dieu lui-mĂȘme. À cause de ce pĂ©chĂ© originel, nous avons Ă©tĂ© conçus dans la faute (Ps 51,7). Le pĂ©chĂ© est liĂ© Ă  l’Alliance. Il constitue donc une apostasie de la fidĂ©litĂ© envers Dieu. Il existe diffĂ©rents types de pĂ©chĂ©, le plus frĂ©quent et le plus grave Ă©tant l’idolĂątrie. En raison de ces “infidĂ©litĂ©s”, le peuple d’IsraĂ«l subit des “chĂątiments” et connaĂźt la joie du “retour” Ă  Dieu. Bien qu’il engage tous, y compris les rois, le pĂ©chĂ© est aussi une responsabilitĂ© individuelle. Le pĂ©chĂ© est esclavage et, pour cela, il attire le chĂątiment de Dieu. Ce chĂątiment est souvent interprĂ©tĂ© comme un remĂšde donnĂ© par Dieu pour corriger ses fils et ses filles du pĂ©chĂ©.

b) La misĂ©ricorde de Dieu est largement chantĂ©e dans les textes sacrĂ©s, car il est misĂ©ricorde depuis toujours (Dt 4,31). Dans le livre des psaumes, par exemple, rĂ©sonnent des voix Ă©loquentes qui louent cette action de Dieu : “C’est lui qui pardonne toutes tes fautes, qui guĂ©rit toutes tes maladies” (Ps 103,3) ; “Tu as pardonnĂ© la faute de ton peuple, tu as couvert tous ses pĂ©chĂ©s” (Ps 85,3) ; “Il ne nous traite pas selon nos pĂ©chĂ©s, il ne nous rend pas selon nos fautes” (Ps 103,10) ; “Rendez grĂące au Seigneur, car il est bon : Ă©ternel est son amour” (Ps 136,1).

c) La conversion est vĂ©cue comme un don de Dieu lui-mĂȘme. Lui-mĂȘme, ou par l’intermĂ©diaire des prophĂštes, invite son peuple Ă  la conversion : “Fils des hommes, jusqu’à quand aurez-vous le cƓur endurci ? Pourquoi aimez-vous le nĂ©ant et recherchez-vous le mensonge ?” (Ps 4,3) ; “N’endurcissez pas votre cƓur comme Ă  MĂ©riba, comme au jour de Massa, dans le dĂ©sert” (Ps 95,8) ; “Que chacun revienne de sa mauvaise voie. Corrigez votre conduite et vos actes” (Jr 18,11) ; “Venez, retournons au Seigneur” (Os 6,1). En somme, le psaume 51 synthĂ©tise, de maniĂšre Ă©loquente, la thĂ©ologie de la faute, de la conversion et de la misĂ©ricorde de Dieu dans l’Ancien Testament.

2.2 PĂ©chĂ© – misĂ©ricorde – conversion, dans le Nouveau Testament

a) Le pĂ©chĂ©, ainsi que toutes ses implications, doit ĂȘtre compris Ă  la lumiĂšre du mystĂšre du Christ. Selon l’apĂŽtre Paul, le pĂ©chĂ© est entrĂ© dans le monde par un seul homme (Rm 5,12) et par un seul homme la mort sera vaincue (1Co 15,21). Ainsi, le pĂ©chĂ© remonte aux origines du monde et tous les ĂȘtres humains en sont impliquĂ©s : “Si nous disons que nous n’avons pas de pĂ©chĂ©, nous nous abusons nous-mĂȘmes, et la vĂ©ritĂ© n’est pas en nous” (1Jn 1,8) ; “Que celui d’entre vous qui est sans pĂ©chĂ© jette la premiĂšre pierre !” (Jn 8,7).

En gĂ©nĂ©ral, dans les Ă©crits nĂ©otestamentaires, le pĂ©chĂ© consiste Ă  refuser la Parole (Mt 13,22), Ă  nier le Verbe et la lumiĂšre (Jn 3,19), Ă  ne pas reconnaĂźtre sa propre cĂ©citĂ© (Jn 9,41), Ă  rejeter le Christ (Jn 1,11), Ă  pratiquer l’iniquitĂ© (1Jn 2,14-17). En somme, du “pĂ©chĂ©â€ dĂ©coulent les pĂ©chĂ©s, comme le montre bien l’apĂŽtre Paul dans l’une de ses listes : “dĂ©bauchĂ©s, idolĂątres, adultĂšres, sodomites, voleurs, cupides, ivrognes, calomniateurs, escrocs (…)” (1Co 6,9-10).

b) La misĂ©ricorde caractĂ©rise le Dieu des chrĂ©tiens. Les fidĂšles sont les destinataires de cette misĂ©ricorde divine : “Heureux les misĂ©ricordieux, car ils obtiendront misĂ©ricorde” (Mt 5,7). JĂ©sus-Christ est le visage de la misĂ©ricorde du PĂšre. “Lorsque les temps furent accomplis, Dieu envoya son Fils, nĂ© d’une femme, nĂ© sujet Ă  la Loi, pour racheter ceux qui Ă©taient sous la Loi, afin que nous recevions la dignitĂ© de fils” (Ga 4,4-5). L’évangĂ©liste Luc est, sans doute, celui qui rassemble le mieux les diffĂ©rents comportements de JĂ©sus manifestant la misĂ©ricorde. La parabole du pĂšre et de ses deux fils est paradigmatique : le pĂšre, pris de compassion, court Ă  la rencontre du fils qui revient et, aprĂšs l’avoir accueilli avec affection (embrassades et baisers), aprĂšs avoir Ă©coutĂ© sa “confession”, il le conduit au banquet (Lc 15,11-32). D’ailleurs, l’attitude de JĂ©sus, qui se montre ami des pĂ©cheurs, des marginalisĂ©s, des malades, des affligĂ©s – ce qui fut cause de scandale pour les pharisiens et mĂȘme pour certains de ses disciples ! – dĂ©coule de sa mission premiĂšre, qui est de rĂ©vĂ©ler la misĂ©ricorde du PĂšre.

En somme, la miséricorde

est la condition de notre salut ; c’est le mot qui rĂ©vĂšle le mystĂšre de la TrĂšs Sainte TrinitĂ© ; c’est l’acte ultime et suprĂȘme par lequel Dieu vient Ă  notre rencontre ; c’est la loi fondamentale inscrite dans le cƓur de chaque personne, lorsqu’elle regarde avec des yeux sincĂšres le frĂšre rencontrĂ© sur le chemin de la vie ; c’est le chemin qui unit Dieu Ă  l’homme” (MV n.2).

c) La conversion est un moyen efficace d’obtenir la misĂ©ricorde et s’opĂšre selon deux volets : le dĂ©sir humain d’un changement radical de vie (metanoia) et l’aide divine pour sa pleine rĂ©alisation. Toutefois, il convient de souligner que l’initiative vient toujours de Dieu, comme l’exprime bien l’apĂŽtre Paul : le Christ a Ă©tĂ© envoyĂ© non pas lorsque nous Ă©tions prĂȘts Ă  nous convertir, mais alors que nous Ă©tions encore dans notre pĂ©chĂ© (cf. Rm 5,6s).

L’écoute de la Parole de Dieu et l’adhĂ©sion qui en dĂ©coule nous replacent sur le chemin du suivi du Christ, car il nous pardonne le pĂ©chĂ© et fait de nous des crĂ©atures nouvelles, grĂące au mystĂšre de sa mort et de sa rĂ©surrection. En d’autres termes, il s’agit de rĂ©aliser dans nos vies la dynamique du mystĂšre pascal du Christ.

3 L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation dans la pratique de l’Église 

Au cours de son histoire, l’Église a connu diffĂ©rentes modalitĂ©s quant Ă  la comprĂ©hension thĂ©ologique et Ă  la pratique liturgique de la rĂ©conciliation. Dans le cadre de ce texte, l’approche historico-thĂ©ologique se fera Ă  partir des pĂ©riodes suivantes : a) siĂšcles I-VI (rĂ©conciliation par la pĂ©nitence canonique) ; b) siĂšcles VII-XI (rĂ©conciliation par la pĂ©nitence tarifĂ©e / privĂ©e) ; c) siĂšcles XI-XX (rĂ©conciliation par la pĂ©nitence de confession).

3.1 SiÚcles I-VI : réconciliation par la pénitence canonique

Au cours des deux premiers siĂšcles de l’ùre chrĂ©tienne, peu de tĂ©moignages font rĂ©fĂ©rence Ă  la pratique pĂ©nitentielle des chrĂ©tiens. À titre d’exemple, on peut citer la DidachĂš, la Lettre de BarnabĂ©, la PremiĂšre lettre de ClĂ©ment de Rome aux Corinthiens et le Pasteur d’Hermas (cf. NOCENT, 1989, p.165-169).

a) La DidachĂš (Ier siĂšcle), dans la lignĂ©e des Ă©crits nĂ©otestamentaires, Ă©numĂšre certains pĂ©chĂ©s graves en lien avec les commandements (chap. 2). Elle Ă©voque Ă©galement la “confession” des pĂ©chĂ©s devant l’assemblĂ©e (chap. 4) et impose des conditions (confession des pĂ©chĂ©s) pour participer pleinement Ă  la table du Seigneur (chap. 14). Il convient de noter que cette “confession” Ă©tait peut-ĂȘtre une forme de reconnaissance publique des propres pĂ©chĂ©s, similaire Ă  l’“acte pĂ©nitentiel” de nos cĂ©lĂ©brations eucharistiques.

b) La PremiĂšre lettre de ClĂ©ment de Rome aux Corinthiens (Ier siĂšcle) est plus explicite : “Vous qui avez provoquĂ© la rĂ©volte, soumettez-vous aux presbytres et acceptez la punition comme votre pĂ©nitence, en flĂ©chissant les genoux de votre cƓur” (57,1).

c) La Lettre de BarnabĂ© (IIe siĂšcle), en plus de dresser une liste de vices Ă  Ă©viter, contient des avertissements Ă  portĂ©e eschatologique : “Le Seigneur est proche, avec son salaire” (chap. 19).

d) Le Pasteur d’Hermas (IIe siĂšcle) aborde la question pĂ©nitentielle sous les angles de la perspective eschatologique, de la conversion et de la seule possibilitĂ© de recevoir le pardon de l’Église.

À partir du IIIe siĂšcle, on constate plus clairement la pratique pĂ©nitentielle. On Ă©tablit la “pĂ©nitence canonique” ou “publique”, accordĂ©e une seule fois dans la vie pour les pĂ©chĂ©s les plus graves. Il s’agit d’une discipline rigoureuse d’expiation, qui se terminait par la rĂ©conciliation ecclĂ©siale Ă  travers le ministĂšre de l’évĂȘque. Elle comprenait essentiellement trois Ă©tapes bien distinctes : a) la confession secrĂšte du pĂ©chĂ© Ă  l’évĂȘque. Celui-ci admettait la personne au groupe des “pĂ©nitents” ; b) le temps nĂ©cessaire pour accomplir les Ɠuvres de pĂ©nitence, c’est-Ă -dire : jeĂ»nes prolongĂ©s, restrictions alimentaires, port de vĂȘtements pĂ©nitentiels et de cilice, priĂšre Ă  genoux, etc. Il appartenait encore au pĂ©nitent de demander aux membres de la communautĂ© de prier pour lui ; c) la rĂ©conciliation ou la paix. Il s’agissait du moment liturgique oĂč l’évĂȘque et les prĂȘtres prĂ©sents imposaient les mains sur les pĂ©nitents, leur accordant la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s et leur rĂ©intĂ©gration dans l’assemblĂ©e ecclĂ©siale.

Personne ne doute de la valeur pĂ©dagogique de cette ancienne pratique de la pĂ©nitence, fondĂ©e sur la conscience de son lien Ă©troit avec le sacrement du baptĂȘme. Ce dernier est en rĂ©alitĂ© la “premiĂšre pĂ©nitence”. Le sacrement de la rĂ©conciliation, pour sa part, Ă©tait considĂ©rĂ© comme un second baptĂȘme. Cependant, la rigueur extrĂȘme et le fait qu’il ne pouvait ĂȘtre administrĂ© qu’une seule fois dans la vie et entraĂźnait des consĂ©quences pour toute l’existence ont conduit les fidĂšles Ă  diffĂ©rer autant que possible leur accĂšs au sacrement de la rĂ©conciliation. Cela a engendrĂ© des effets secondaires tels que : l’éloignement progressif de la communion eucharistique et la transformation de la rĂ©conciliation en sacrement rĂ©servĂ© aux personnes ĂągĂ©es ou mourantes.

3.2 SiÚcles VII-XI : réconciliation par la pénitence tarifée / privée

Le VIIe siĂšcle est considĂ©rĂ© comme un tournant en matiĂšre de discipline pĂ©nitentielle. Il y a rupture avec l’ancienne pratique : la rĂ©conciliation peut dĂ©sormais ĂȘtre privĂ©e et rĂ©pĂ©tĂ©e. Cette pratique, mise en Ɠuvre par des moines irlandais et Ă©cossais, s’est Ă©tendue aux communautĂ©s paroissiales. Le fait que la majoritĂ© des Ă©vĂȘques Ă©taient Ă©galement moines a favorisĂ© la diffusion de cette “nouveautĂ©â€. C’est ainsi qu’ont vu le jour les cĂ©lĂšbres “livres pĂ©nitentiels”. Ces ouvrages contiennent des tableaux et des listes de pĂ©chĂ©s ainsi que la peine correspondante (tarif) Ă  infliger au pĂ©nitent pour chaque faute commise. La durĂ©e de ces pĂ©nitences variait selon la gravitĂ© du pĂ©chĂ©, allant de quelques jours Ă  plusieurs annĂ©es de jeĂ»ne, etc. En revanche, le principe suivant restait en vigueur : “Pour un pĂ©chĂ© grave et cachĂ©, pĂ©nitence secrĂšte ; pour un pĂ©chĂ© grave et public, pĂ©nitence publique”.

Dans la pratique, la pĂ©nitence tarifĂ©e a soulevĂ© des difficultĂ©s, telles que : comment gĂ©rer les cas oĂč, lors d’une seule confession, une personne se voyait imposer de nombreuses annĂ©es de pĂ©nitence ? En rĂ©ponse Ă  cela, des formes de commutations ou de rĂ©demptions de la pĂ©nitence ont Ă©tĂ© créées. Ces commutations pouvaient se faire selon des calculs prĂ©dĂ©finis, par exemple : a) une pĂ©nitence de longue durĂ©e pouvait ĂȘtre remplacĂ©e par une plus brĂšve mais plus rigoureuse ; b) la pĂ©nitence pouvait ĂȘtre Ă©changĂ©e contre une somme d’argent, dont le montant variait selon la peine ; c) la pĂ©nitence pouvait ĂȘtre remplacĂ©e par la cĂ©lĂ©bration de messes : on commandait un certain nombre de messes en guise de rĂ©paration ; d) la pĂ©nitence pouvait ĂȘtre accomplie par une autre personne : on invoquait le prĂ©cepte Ă©vangĂ©lique selon lequel les uns doivent porter les charges des autres (cf. BAÑADOS, 2005, p.217).

Bien que l’accĂšs rĂ©pĂ©tĂ© au sacrement ait Ă©tĂ© un Ă©lĂ©ment positif dans l’histoire de la pĂ©nitence, sur le plan pastoral, cette pratique a rencontrĂ© des limites considĂ©rables, comme la “marchandisation” des peines. Cela a renforcĂ© le caractĂšre individuel et magique du sacrement, en mettant l’accent sur le binĂŽme confession-absolution, au dĂ©triment de la pĂ©nitence en tant que telle.

3.3 SiÚcles XI-XX : réconciliation par la pénitence de confession

MĂȘme si la pĂ©nitence publique existait encore pour les pĂ©chĂ©s publics jugĂ©s scandaleux, la confession auriculaire a progressivement pris sa place, au point de devenir la seule forme de cĂ©lĂ©bration du sacrement. Un type de “confession dĂ©votionnelle” s’est instaurĂ©, caractĂ©risĂ© par l’accusation des pĂ©chĂ©s (de la part du pĂ©nitent) et l’absolution immĂ©diate (de la part du ministre ordonnĂ©). Cette “confession” est peu Ă  peu devenue une condition prĂ©alable Ă  la communion eucharistique, mĂȘme une fois par an, comme proposĂ© par le Concile de Latran (1215). Ainsi, la rĂ©conciliation, qui dans les premiers siĂšcles Ă©tait accordĂ©e une seule fois dans la vie – car ce sacrement Ă©tait considĂ©rĂ© comme un second baptĂȘme, ou “baptĂȘme laborieux” –, devient dĂ©sormais obligatoire une fois par an. Cette pratique s’est poursuivie jusqu’au Concile de Trente (XVIe siĂšcle).

À l’époque du Concile de Trente, le problĂšme thĂ©ologique et disciplinaire du sacrement de pĂ©nitence Ă©tait complexe, non seulement Ă  cause de la RĂ©forme et de son attitude envers le sacrement, mais aussi en raison de la complexitĂ© de la discipline sacramentelle elle-mĂȘme et de l’Église. En effet, du point de vue disciplinaire, il existait diverses divergences dans son application (NOCENT, 1989, p.204).

En se limitant Ă  donner une rĂ©ponse de nature dogmatique aux attaques des rĂ©formateurs, le Concile de Trente a traitĂ© du sacrement de pĂ©nitence en lui-mĂȘme, et lorsqu’il le considĂšre en relation avec l’eucharistie, c’est sous l’aspect de la dignitĂ© requise pour communier, et aussi pour souligner que l’eucharistie ne peut remplacer l’absolution en cas de pĂ©chĂ© grave. De la doctrine sur le sacrement de pĂ©nitence enseignĂ©e par Trente, il convient de souligner : a) l’affirmation de l’institution du sacrement par le Christ et de sa nĂ©cessitĂ© par droit divin, pour le salut de ceux qui sont tombĂ©s aprĂšs le baptĂȘme ; b) l’enseignement selon lequel la confession se fait uniquement au prĂȘtre et est secrĂšte ; c) l’appel Ă  la nĂ©cessitĂ© de confesser tous les pĂ©chĂ©s, y compris les vĂ©niels, au moins une fois par an.

Trente souligne la relation Ă©troite entre l’individu et le confesseur : de la part de l’individu, on exige une attitude de profonde contrition, suivie de la dĂ©claration de tous les pĂ©chĂ©s (confession) et de la satisfaction des peines ; au confesseur, reprĂ©sentant de Dieu et juge, revient le rĂŽle d’absoudre les pĂ©chĂ©s du pĂ©nitent.

Il convient Ă©galement de souligner l’enseignement de Trente sur la diffĂ©rence entre le sacrement de pĂ©nitence et le sacrement de baptĂȘme :

Il est Ă©vident que ce sacrement est diffĂ©rent du baptĂȘme Ă  plusieurs Ă©gards. Car, outre que la matiĂšre et la forme qui constituent l’essence du sacrement sont trĂšs diffĂ©rentes, il est Ă©galement Ă©tabli que le ministre du baptĂȘme ne doit pas ĂȘtre un juge, car l’Église n’exerce pas de juridiction sur une personne qui n’est pas encore entrĂ©e par la porte du baptĂȘme. (…) Il n’en va pas de mĂȘme pour ceux qui appartiennent Ă  la famille de la foi, ceux que le Christ Seigneur a une fois pour toutes faits membres de son corps par le bain du baptĂȘme. En effet, si ceux-ci se salissent Ă  nouveau par un dĂ©lit, ils doivent, de leur plein grĂ©, se purifier, non par un nouveau baptĂȘme – ce qui n’est en aucun cas licite dans l’Église catholique –, mais en se prĂ©sentant comme accusĂ©s devant ce tribunal de pĂ©nitence, afin de pouvoir, par la sentence du prĂȘtre, ĂȘtre libĂ©rĂ©s, non pas une seule fois, mais chaque fois qu’ils se repentent de leurs pĂ©chĂ©s et y recourent (DENZINGER-HÜNERMANN, 2007, n.1671).

Dans les siĂšcles suivants (post-tridentins), la thĂ©ologie et la pratique pastorale du sacrement de pĂ©nitence ont suivi la voie tracĂ©e par Trente et n’ont pas connu de changements substantiels, malgrĂ© de vives discussions autour de l’intensitĂ© de la “contrition”. La “satisfaction” imposĂ©e aprĂšs l’absolution, outre qu’elle pousse le pĂ©nitent Ă  accepter la peine (guĂ©rison des sĂ©quelles du pĂ©chĂ© commis), le rend plus prudent et vigilant pour l’avenir. Cette pĂ©riode est Ă©galement marquĂ©e par des appels rĂ©pĂ©tĂ©s Ă  la “confession individuelle”, presque toujours considĂ©rĂ©e comme une condition prĂ©alable pour recevoir dignement l’eucharistie. La confession frĂ©quente de tous les pĂ©chĂ©s (y compris les vĂ©niels) devient une obsession pour le clergĂ©.

4 L’expĂ©rience de la rĂ©conciliation proposĂ©e dans le Rituel de la PĂ©nitence de 1973 et ses dĂ©fis pastoraux

Cette derniĂšre section s’occupera, dans un premier temps, de l’étude du Rituel de la PĂ©nitence de 1973, en cherchant Ă  en souligner la thĂ©ologie. Ensuite, trois pistes d’action seront prĂ©sentĂ©es, en vue d’une participation consciente, active et fructueuse des fidĂšles Ă  la cĂ©lĂ©bration de la rĂ©conciliation.

4.1 Le Rituel de la Pénitence de 1973

RĂ©pondant Ă  la demande explicite du Concile Vatican II selon laquelle “le rite et les formules de la PĂ©nitence soient rĂ©visĂ©s de maniĂšre Ă  exprimer plus clairement la nature et les effets de ce sacrement” (SC n.72), la SacrĂ©e CongrĂ©gation pour le Culte Divin publia Ă  Rome, le 2 dĂ©cembre 1973, le nouveau Rituel de la PĂ©nitence (RP).

Ce rituel est composĂ© d’une “Introduction gĂ©nĂ©rale”, d’un “Rite pour la rĂ©conciliation individuelle des pĂ©nitents”, d’un “Rite pour la rĂ©conciliation de plusieurs pĂ©nitents avec confession et absolution individuelles”, d’un “Rite pour la rĂ©conciliation de plusieurs pĂ©nitents avec confession et absolution gĂ©nĂ©rales”, d’un large “Lectionnaire” et de trois “Annexes”, Ă  savoir : a) absolution des censures et dispense d’irrĂ©gularitĂ© ; b) exemples de cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles : CarĂȘme, Avent, CĂ©lĂ©brations ordinaires pour les enfants, les jeunes, les malades ; c) schĂ©ma pour l’examen de conscience.

4.1.1 Points saillants théologico-liturgiques

L’“Introduction gĂ©nĂ©rale” du RP, en harmonie avec la Sacrosanctum Concilium, commence par l’approche du ministĂšre de la rĂ©conciliation dans le cadre de l’histoire du salut : le PĂšre a toujours manifestĂ© sa misĂ©ricorde et rĂ©conciliĂ© le monde avec lui. Ce dessein divin a atteint son sommet dans le mystĂšre pascal du Christ. Depuis lors, l’Église n’a cessĂ© d’appeler les hommes et les femmes Ă  la conversion, par la cĂ©lĂ©bration du sacrement de la rĂ©conciliation. À ce sacrement est associĂ© le baptĂȘme, “par lequel le vieil homme est crucifiĂ© avec le Christ afin que, dĂ©truit le corps du pĂ©chĂ©, nous ne soyons plus esclaves du pĂ©chĂ©, mais, ressuscitĂ©s avec le Christ, vivions pour Dieu”, ainsi que l’eucharistie, qui Ă©difie l’Église et fait de ses membres “un seul corps et un seul esprit” (RP n.1-2).

La deuxiĂšme section traite de la rĂ©conciliation des pĂ©nitents dans la vie de l’Église : le Christ a aimĂ© l’Église et s’est livrĂ© pour elle afin de la sanctifier, l’unissant Ă  lui comme son Ă©pouse. Celle-ci, cependant, ne lui est pas toujours fidĂšle et, pour cette raison mĂȘme, a besoin d’une purification et d’un renouvellement continus. Dans le sacrement de la rĂ©conciliation, “les fidĂšles obtiennent de la misĂ©ricorde divine le pardon de l’offense faite Ă  Dieu et, en mĂȘme temps, sont rĂ©conciliĂ©s avec l’Église, qu’ils ont blessĂ©e par le pĂ©chĂ© et qui collabore Ă  leur conversion par la charitĂ©, l’exemple et la priĂšre” (LG n.11).

Cette section présente également les parties constitutives du sacrement de la réconciliation, à savoir :

a) La contrition. De la contrition intĂ©rieure dĂ©pend l’authenticitĂ© de la pĂ©nitence. La conversion doit atteindre profondĂ©ment l’ĂȘtre humain, pour l’éclairer chaque jour davantage et le configurer toujours plus au Christ.

b) La confession exige du pĂ©nitent la volontĂ© d’ouvrir son cƓur au ministre de Dieu ; et de la part de celui-ci, un jugement spirituel par lequel, agissant au nom du Christ, il prononce, en vertu du pouvoir des clefs, la sentence de rĂ©mission ou de rĂ©tention des pĂ©chĂ©s.

c) La satisfaction des fautes est l’expression concrĂšte de la vĂ©ritable conversion, c’est-Ă -dire de la rĂ©paration du tort causĂ©. Il est donc nĂ©cessaire que la satisfaction imposĂ©e soit rĂ©ellement un remĂšde contre le pĂ©chĂ© et, d’une certaine maniĂšre, un renouvellement de vie. Ainsi, le pĂ©nitent, oubliant ce qui est derriĂšre (Ph 3,13), se rĂ©intĂšgre dans le mystĂšre du salut en se tournant vers l’avenir.

d) L’absolution. Par la confession sacramentelle, Dieu accorde le pardon par le signe de l’absolution, et ainsi se rĂ©alise le sacrement de la rĂ©conciliation. Par ce sacrement, le PĂšre accueille son fils qui revient ; le Christ place la brebis perdue sur ses Ă©paules et la ramĂšne au bercail ; et l’Esprit Saint sanctifie Ă  nouveau son temple ou vient l’habiter plus pleinement. Cela se manifeste pleinement dans la participation frĂ©quente ou plus fervente Ă  la table du Seigneur, avec une grande joie dans l’Église de Dieu pour le retour de l’enfant Ă©loignĂ© (cf. RP n.6).

Il convient d’observer que la satisfaction apparaĂźt avant l’absolution, c’est-Ă -dire que l’ordre idĂ©al de la structure du sacrement a Ă©tĂ© rĂ©tabli.

Quant à la réitération du sacrement, entre autres recommandations, le RP clarifie que

il ne s’agit pas d’une simple rĂ©pĂ©tition rituelle, ni d’une sorte d’exercice psychologique, mais d’un effort assidu pour parfaire la grĂące du baptĂȘme, afin que, portant dans notre corps la mortification du Christ, la vie de JĂ©sus se manifeste de plus en plus en nous. (…) La cĂ©lĂ©bration de ce sacrement est toujours une action par laquelle l’Église proclame sa foi, rend grĂące Ă  Dieu pour la libertĂ© avec laquelle le Christ nous a libĂ©rĂ©s, et offre sa vie comme un sacrifice spirituel Ă  la louange de la gloire de Dieu, tout en se hĂątant Ă  la rencontre du Christ (RP n.7).

La troisiĂšme section traite des fonctions et des ministĂšres dans la rĂ©conciliation des pĂ©nitents. En plus de souligner le rĂŽle de toute la communautĂ© dans la cĂ©lĂ©bration de la rĂ©conciliation, elle rappelle que l’Église est impliquĂ©e et agit dans la rĂ©conciliation ; elle met en Ă©vidence la responsabilitĂ© de l’Ă©vĂȘque et des prĂȘtres (qui agissent en communion avec l’Ă©vĂȘque) dans la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s ; elle rappelle que « le fidĂšle, tout en expĂ©rimentant et en proclamant dans sa vie la misĂ©ricorde de Dieu, cĂ©lĂšbre avec le ministre ordonnĂ© la liturgie d’une Église qui se renouvelle continuellement » (RP n.8-11).

La quatriĂšme section, quant Ă  elle, dĂ©crit les trois modalitĂ©s de cĂ©lĂ©bration du sacrement de la rĂ©conciliation, en cherchant Ă  montrer leur importance dans la vie des fidĂšles ; elle souligne la thĂ©ologie de la formule de l’absolution, en ces termes :

La formule de l’absolution montre que la rĂ©conciliation du pĂ©nitent procĂšde de la misĂ©ricorde du PĂšre ; elle indique le lien entre la rĂ©conciliation du pĂ©cheur et le mystĂšre pascal ; elle exalte l’action de l’Esprit Saint dans le pardon des pĂ©chĂ©s, et enfin elle met en Ă©vidence l’aspect ecclĂ©sial du sacrement, puisque la reconciliation avec Dieu est demandĂ©e et accordĂ©e par le ministĂšre de l’Église (RP n.19).

La cinquiÚme section parle des « Célébrations pénitentielles ». Quant à leur nature et à leur structure, ces célébrations sont

des rĂ©unions du peuple de Dieu pour Ă©couter sa Parole, qui invite Ă  la conversion et au renouvellement de la vie, en proclamant aussi notre libĂ©ration du pĂ©chĂ© par la mort et la rĂ©surrection du Christ. Leur structure est la mĂȘme que celle des cĂ©lĂ©brations de la Parole, proposĂ©e dans le « Rite pour la rĂ©conciliation de plusieurs pĂ©nitents ». (RP n.36)

Quant Ă  leur utilitĂ© et leur importance, les « CĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles » favorisent l’esprit de pĂ©nitence de la communautĂ© chrĂ©tienne ; elles aident les fidĂšles Ă  prĂ©parer la confession que chacun pourra faire en temps opportun ; elles Ă©duquent les enfants Ă  acquĂ©rir progressivement la conscience du pĂ©chĂ© dans la vie humaine et de la libĂ©ration du pĂ©chĂ© par le Christ ; elles aident les catĂ©chumĂšnes dans leur conversion. De plus, lĂ  oĂč aucun ministre ordonnĂ© n’est disponible pour accorder l’absolution sacramentelle, les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles sont trĂšs utiles pour Ă©veiller chez les fidĂšles une contrition parfaite, nĂ©e de la charitĂ©, par laquelle, avec le dĂ©sir de recevoir plus tard le sacrement de la rĂ©conciliation, ils peuvent obtenir la grĂące de Dieu (cf. RP n.37).

La derniĂšre section de l’« Introduction gĂ©nĂ©rale » du RP traite des « Adaptations du Rite aux diverses rĂ©gions et circonstances ». De telles adaptations pourront ĂȘtre faites par les confĂ©rences Ă©piscopales (RP n.38), par l’Ă©vĂȘque diocĂ©sain (RP n.39) et par le ministre (RP n.40).

4.1.2 Avancées et limites

Pour porter un jugement sur le RP de 1973, il est nĂ©cessaire de tenir compte du fait que ce rituel est le fruit d’un travail laborieux articulĂ© par le Consilium. A. Bugnini, dans son Ɠuvre anthologique La rĂ©forme liturgique, s’exprime ainsi : « La rĂ©vision des rites de la PĂ©nitence a suivi un chemin assez long et difficile. Il a fallu sept ans pour mettre en pratique les quelques lignes que la Constitution liturgique consacre Ă  ce sujet » (2018, p.551).

De grandes questions ont Ă©tĂ© discutĂ©es, certaines d’entre elles de maniĂšre « animĂ©e », dĂšs la premiĂšre Ă©tape des travaux (1966-1969), comme l’aspect social et communautaire du pĂ©chĂ© et de la rĂ©conciliation, la question d’une possible cĂ©lĂ©bration communautaire de la rĂ©conciliation avec absolution gĂ©nĂ©rale sans confession individuelle prĂ©alable, une nouvelle formule sacramentelle d’absolution et la possibilitĂ© de formules sacramentelles facultatives, etc.

C’est Ă  partir de ce contexte que le nouveau RP a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©. Les trois modalitĂ©s de cĂ©lĂ©bration de la rĂ©conciliation, proposĂ©es dans ce rituel, en sont un bon exemple. Le cĂ©lĂšbre liturgiste A. Nocent, dans une analyse critique du RP, reconnaĂźt comme positives ces modalitĂ©s, sous trois aspects : a) la tentative de rĂ©tablir l’unitĂ© entre la Parole et le sacrement ; b) l’intervention, au moins partielle, de la communautĂ© ecclĂ©siale ; c) la prĂ©sentation d’un formulaire d’absolution dogmatiquement plus riche, et qui corrige l’aspect juridique. D’autre part, il dĂ©plore qu’aucune des trois modalitĂ©s ne soit rĂ©ellement satisfaisante et adaptĂ©e aux circonstances actuelles, en ces termes :

Le premier rituel, celui qui concerne le pénitent qui rencontre le confesseur, ne se réalise pas facilement : il suppose un contact humain et spirituel pour le dialogue, il unit au sacrement une brÚve liturgie de la Parole, mais il lui manque la visibilité de la communauté et surtout il peut difficilement se réaliser dans une paroisse ou un groupe de personnes qui se présentent ensemble ; et cela rend impossible la pratique prévue par le rituel.

Le deuxiĂšme rituel accentue la prĂ©paration communautaire Ă  la confession, chose qui n’a aucune base dans la tradition, mais qui constitue de fait un enrichissement. Mais au moment oĂč le rituel sacramentel devrait accentuer l’aspect communautaire du sacrement, l’absolution, sans la permission de l’Ordinaire, reste individuelle. Seule la prĂ©paration au sacrement est communautaire, tandis que le sacrement lui-mĂȘme reste visiblement individuel.

Le troisiĂšme rituel, l’absolution sans confession prĂ©alable, ne trouve aucun appui dans la tradition, du fait que l’antiquitĂ© considĂ©rait l’absolution comme le couronnement de la conversion. Ici, au contraire, l’absolution est placĂ©e sur un plan juridique, sans aucun contrĂŽle sur la maniĂšre dont le pĂ©nitent entend se convertir. Cependant, il faut bien le reconnaĂźtre, nous vivons dans des situations nouvelles, que l’Église ancienne n’a pas connues (NOCENT, 1989, p. 215-216).

4.2 CĂ©lĂ©brer la rĂ©conciliation aujourd’hui : pistes d’action

CĂ©lĂ©brer la rĂ©conciliation dans les communautĂ©s, aujourd’hui, reste un grand dĂ©fi. MalgrĂ© cela, nous osons proposer trois exigences que nous jugeons fondamentales pour l’amĂ©lioration de la pastorale de la rĂ©conciliation. Les voici :

a) Promouvoir une formation thĂ©ologico-liturgique sur le sacrement de la rĂ©conciliation pour le clergĂ© et le peuple en gĂ©nĂ©ral. Puisque ce sacrement est « une rencontre joyeuse de l’ĂȘtre humain avec Dieu, par la mĂ©diation de l’Église », une telle formation pourra ĂȘtre rĂ©alisĂ©e, Ă  partir du triptyque :

– Dieu : celui qui promeut et rend possible la pleine rĂ©conciliation ;

– L’Église : celle qui collabore et rend visible la rencontre de rĂ©conciliation ;

– Le pĂ©nitent : la personne qui accepte et participe activement Ă  la rĂ©conciliation (BOROBIO, 2009, p.324).

b) Promouvoir les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles. Ces cĂ©lĂ©brations, prĂ©vues dans le RP, manquent encore d’une attention spĂ©ciale de la part des curĂ©s et des responsables des communautĂ©s ecclĂ©siales. La liturgiste I. Buyst nous donne de bonnes raisons pour l’accroissement de telles cĂ©lĂ©brations (cf. BUYST, 2008, p.54-66) :

– Les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles pourront faciliter le passage d’une conception individualiste, lĂ©galiste, formaliste, Ă  une mentalitĂ© plus biblique et communautaire-ecclĂ©siale de la rĂ©conciliation. N’ayant pas Ă  se soucier de la confession et de l’absolution, les personnes sont plus disposĂ©es Ă  se concentrer sur la Parole de Dieu et Ă  se laisser transformer par elle. Et de plus : le fait que la prĂ©sidence de ces cĂ©lĂ©brations ne soit pas restreinte au ministre ordonnĂ© rend plus Ă©vidente la responsabilitĂ© de la communautĂ© et de chaque personne comme ministre de la pĂ©nitence.

– La communautĂ© pourra privilĂ©gier des moments propices pour les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles, tels que : les temps du CarĂȘme et de l’Avent, les fĂȘtes des saints patrons, lors des pĂšlerinages, Ă  des moments ponctuels du cheminement ecclĂ©sial, surtout dans des situations de dĂ©saccords, de malentendus, de querelles, etc.

– Les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles pourront aider les communautĂ©s Ă  comprendre que la rĂ©conciliation est un itinĂ©raire spirituel qui dure toute la vie et que son objectif primordial est l’« homme nouveau ».

– Étant donnĂ© que les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles sont des « rĂ©unions du peuple de Dieu pour Ă©couter sa Parole, qui l’invite Ă  la conversion et au renouvellement de la vie, en proclamant aussi notre libĂ©ration du pĂ©chĂ© par la mort du Christ » (RP n.36), leur accroissement dans la vie de la communautĂ© permettra aux fidĂšles de faire l’expĂ©rience de l’efficacitĂ© de la Parole proclamĂ©e qui, par l’action de l’Esprit, fait advenir la conversion et le renouvellement de la vie.

c) Être attentif Ă  l’horizon ouvert de possibles « adaptations ». Comme nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, l’« Introduction gĂ©nĂ©rale » du RP propose des adaptations du rite aux diverses rĂ©gions et circonstances, couvrant les niveaux de la confĂ©rence Ă©piscopale, de l’Ă©vĂȘque diocĂ©sain et du ministre (RP n.38-40).

Pour les deux premiers niveaux (de la confĂ©rence Ă©piscopale et de l’Ă©vĂȘque diocĂ©sain), Ă  l’exception de l’exigence explicite de conserver la formule sacramentelle dans son intĂ©gralitĂ©, tout le reste du rituel pourra ĂȘtre adaptĂ©, y compris avec la composition de nouveaux textes.

Au niveau du ministre, principalement les curĂ©s, la possibilitĂ© reste ouverte d’adapter le rite aux circonstances concrĂštes des pĂ©nitents, Ă  condition de conserver sa structure essentielle et l’intĂ©gralitĂ© de la formule d’absolution. Il est Ă©galement recommandĂ© d’utiliser frĂ©quemment les cĂ©lĂ©brations pĂ©nitentielles tout au long de l’annĂ©e.

Par consĂ©quent, dans le RP, il existe un vaste champ de possibilitĂ©s d’adaptations du rite. Cela permettra Ă  la communautĂ© de foi de cĂ©lĂ©brer de maniĂšre plus consciente, active et fructueuse la rĂ©conciliation.

Nous concluons ce texte par une observation sur le titre du rituel. A. Bugnini le justifie ainsi :

Le titre général du volume est Ordo Paenitentiae, car il contient des indications pour les rites tant sacramentels que non sacramentels.

Pour l’action liturgique sacramentelle, on prĂ©fĂšre, dans les chapitres individuels de l’Ordo, le terme Reconciliatio. Il indique mieux que la pĂ©nitence sacramentelle est, Ă  la fois, action de Dieu et de l’homme, tandis que « PĂ©nitence » met davantage l’accent sur l’action de l’homme. (…) Reconciliatio est plus proprement utilisĂ© par l’Église ancienne pour l’acte sacramentel. (…) Cette terminologie sert Ă©galement Ă  attirer l’attention et Ă  approfondir un aspect fondamental pour la comprĂ©hension et le renouveau de la pĂ©nitence sacramentelle (2018, p.560-561).

En somme, la rĂ©conciliation est une action de Dieu, une initiative de Dieu, comme l’exprime bien l’ApĂŽtre :

Tout vient de Dieu, qui, par le Christ, nous a rĂ©conciliĂ©s avec lui et nous a confiĂ© le ministĂšre de la rĂ©conciliation. Oui, c’est Dieu lui-mĂȘme qui, dans le Christ, a rĂ©conciliĂ© le monde avec lui, ne tenant pas compte des fautes de l’humanitĂ©, et c’est lui qui a mis en nous la parole de la rĂ©conciliation (2Co 5,18-19).

Joaquim Fonseca, OFM – Institut Saint Thomas d’Aquin. (texte original en portugais)

Références

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 BOROBIO, D. Celebrar para viver; liturgia e sacramentos da Igreja. São Paulo: Loyola, 2009.

 BUGNINI, A. A reforma litĂșrgica (1948-1975). SĂŁo Paulo: Paulus; Paulinas; Loyola, 2018.

 BUYST, I. As celebraçÔes penitenciais. In: CNBB. Deixai-vos reconciliar. São Paulo: Paulus, 2008, p. 49-66. Estudos da CNBB, n.96.

 DENZINGER – HÜNERMANN. CompĂȘndio dos sĂ­mbolos, definiçÔes e declaraçÔes de fĂ© e moral. SĂŁo Paulo: Paulinas / Loyola, 2007.

 FRANCISCO. Veritatis Gaudium. Sobre as universidades e as faculdades eclesiåsticas. Disponible sur : http://w2.vatican.va/content/francesco/pt/apost_constitutions/documents/papa-francesco_costituzione-ap_20171208_veritatis-gaudium.html. Consulté le : 12 sept. 2019.

 ______. Misericordiae Vultus. O rosto da misericórdia. Bula de proclamação do jubileu extraordinårio da misericórdia. São Paulo: Paulus, 2015.

 NOCENT, A. O sacramento da penitĂȘncia e da reconciliação. In: NOCENT, A. et al. Os sacramentos; teologia e histĂłria da celebração. SĂŁo Paulo: Paulinas, 1989, p.143-221. Anamnesis, 4.

 VISENTIN, P. PenitĂȘncia. In: VV.AA. DicionĂĄrio de liturgia. SĂŁo Paulo: Paulus, 1992. p. 920-937.