Sommaire
Introduction
1 La symbiose oubliée
2 La liturgie dans la Bible
2.1 La liturgie d’Israël
2.1.1 Lieux
2.1.2 Activités cultuelles
2.1.3 Fêtes et célébrations
2.1.4 Le calendrier religieux
2.1.5 Le sabbat
2.2 La liturgie dans le NT
2.2.1 Continuité et rupture par rapport à la liturgie d’Israël
2.2.2 La fraction du pain et le mémorial de la Cène du Seigneur
2.2.3 Prières et hymnes
3 La Bible dans la Liturgie
3.1 La lecture biblique dans la liturgie juive
3.2 La lecture biblique dans la liturgie chrétienne (catholique)
4 La formation biblico-liturgique
Références
Introduction
On souligne ici le lien intrinsèque entre Liturgie et Bible, dans une approche principalement historique. La réflexion théologique, surtout de la part de l’Église catholique, se trouve dans les constitutions Sacrosanctum Concilium (SC) et Dei Verbum (DV) du Concile Vatican II, dans les exhortations apostoliques Evangelii Nuntiandi (EN) de Paul VI et Verbum Domini (VD) de Benoît XVI, et dans l’encyclique Evangelii Gaudium (EG) du pape François.
Depuis leurs origines, la Bible et la tradition liturgique juive et chrétienne sont intimement liées, et la reconnaissance de cette « symbiose » fournit la clé d’interprétation de certains épisodes bibliques comme des grands actes liturgiques. Non seulement dans le Nouveau Testament (NT), mais aussi dans l’Ancien (AT), la liturgie est un « lieu de cristallisation » des traditions bibliques (dans le NT, cf. BASURKA ; GOENAGA, 1990, p.41). Cela a des conséquences pour la lecture et l’étude de la Bible et pour la formation des fidèles et des agents pastoraux.
Sauf exceptions, nous utilisons le terme « Bible » pour désigner les écrits enregistrés dans le canon catholique de l’AT et du NT, en signalant, lorsque c’est nécessaire, l’usage d’autres Églises chrétiennes et du judaïsme. Quant à l’AT, nous rappelons la distinction entre la Bible hébraïque (BH) ou Tanakh, normative pour le judaïsme, et la traduction grecque, la Septante (LXX), qui est plus étendue que la BH et parfois considérée comme « chrétienne » en raison de son usage dans les Églises orientales.
En parlant de « liturgie », nous nous tournons vers la liturgie catholique renouvelée après le Concile Vatican II, mais, au cours de l’étude, nous recourrons fréquemment à des concepts ou des figures du culte religieux en général, particulièrement dans le monde biblique. Dans le contexte biblique, plutôt que « culte », nous préférons le terme « liturgie », au sens d’action (érgon) du « peuple » (laós)[1], en l’occurrence, le peuple de Dieu réuni dans l’Alliance, dont l’événement du Sinaï (Ex 19,1–24,11) est la « référence mémorable » et qui trouve sa plénitude dans la Nouvelle Alliance de l’« événement Jésus-Christ ».
1 La symbiose oubliée
Malgré l’origine profane de certaines de ses composantes, la Bible en tant que telle appartient à l’espace-temps sacré. La collecte et l’organisation des livres bibliques dans le judaïsme ont commencé à partir du Ve siècle av. J.-C., dans les cercles sacerdotaux, en fonction des célébrations dans le « Second Temple » et dans les synagogues, qui ont fait de la pratique de la lecture le centre du culte. Pendant l’Antiquité et le Moyen Âge, la symbiose entre liturgie et Bible était évidente, tant dans les milieux juifs que chrétiens. La Modernité, cependant, a « autonomisé » la Bible. Elle en a fait une autorité religieuse autonome et un objet d’investigation historique, littéraire, etc. Selon sa constitution intime, cependant, la Bible n’est pas une institution autonome, ni une fin en soi, mais un témoignage de la communauté qui célèbre sa vie devant la face de Dieu, Seigneur de la vie et de l’histoire. Livre de vie ouvert en présence de Dieu, la Bible a son Sitz im Leben dans la liturgie. En arrachant la Bible de la célébration de la vie dans la communauté des fidèles, nous la condamnons à la stérilité.
2 La liturgie dans la Bible
2.1 La liturgie d’Israël[2]
2.1.1 Lieux
Nous pouvons commencer la découverte du culte de l’ancien Israël à partir des territoires/lieux sacrés, dédiés à la divinité protectrice de la collectivité, la maison patriarcale ou la tribu.[3] Au temps des patriarches, sont mentionnés surtout : Sichem (Gn 12,6-7), Béthel (Gn 12,8), Mambré (Gn 13,18), Beersheba (Gn 21,22-31 ; 26,33).
Au temps de l’Exode, le lieu saint par excellence sera la Tente, le sanctuaire du désert, appelée Tente de la Rencontre ou de la Réunion (’ohel mo‘ed), lieu de la rencontre du peuple, mais vite considérée comme lieu de rencontre avec Dieu, où, d’ailleurs, Dieu parle à Moïse face à face (Ex 33,11) (DE VAUX, 1973, p. 294-295). Là, Moïse sert d’intermédiaire entre Dieu et le peuple. C’est le lieu des oracles. Un autre nom est mishkan, demeure (comme les tentes des Hébreux nomades), suggérant la présence de Dieu au milieu des tentes de son peuple, l’accompagnant dans le désert. La présence de Dieu est reconnue par la nuée obscure qui descend sur la Tente.[4]
Avec la tradition de la Tente conflue la vénération de l’Arche, coffre dans lequel Moïse a gardé les tables de la Loi (Ex 31,18 ; 25,16 ; 40,20). La tradition deutéronomiste (Dt 10,1-5) conserve encore la mémoire de la petite arche originelle, contenant seulement les tables de la Loi et appelée Arche de l’Alliance, berît (dans la tradition sacerdotale : Arche du Document, edut) (DE VAUX, 1973, p. 301). Plus tard, elle est associée à la Tente, par la tradition sacerdotale qui a sous les yeux le temple de Salomon et le Second Temple après l’exil. En raison de l’association à l’Arche, la Tente est aussi appelée Tente du Témoignage (Nb 9,15 ; 17,22 ; 18,2). Selon l’historiographie deutéronomiste, l’Arche fut placée dans le Debir, la « chapelle » ou cella du Temple (le « Saint des Saints » de la tradition sacerdotale), où elle se trouvait couverte d’un plateau pour le sang sacrificiel, flanquée de deux chérubins.[5]
Cependant, nous devons nous rappeler qu’il y avait des sanctuaires sur tout le territoire des tribus : Guilgal (Js 4,19 etc.), Silo (où Dieu est appelé YHWH Sabaot ; selon Js 18, le lieu de rencontre des tribus), Mispa (Masfa) en Benjamin (Jg 20–21), Gabaon, qui sera le lieu de prière de Salomon (1R 1,4-15), Ophra, Dan ; et Jébus-Jérusalem, conquise par David (2S 6) et lieu du futur temple construit par son fils Salomon (1R 6,37-38 ; cf. 6,1). Depuis l’époque de Salomon, le Temple comportait trois espaces principaux : le parvis/la cour (’ulâm), le Saint (hekal) et le Saint des Saints (debir).
Le temple de Salomon est devenu le centre religieux d’Israël malgré le prestige des anciens sanctuaires et malgré le temple rival construit par Jéroboam à Béthel (1R 12,29). Le Temple était le siège de la présence divine, et aussi le signe de l’élection, le lieu choisi par Dieu (déjà avant sa construction, cf. 2S 24,16). Il est même devenu un symbole cosmique chez Ézéchiel et dans la littérature apocalyptique. Il y a eu, cependant, toujours une certaine relativisation du Temple, comme dans la prophétie de Nathan (2S 7,5-7), chez les Rékabites (Jr 35), et même dans la vision post-exilique d’Is 66,1 : « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied ; quelle maison me bâtirez-vous ? » – qui atteint son comble dans la vision de la nouvelle Jérusalem qui se passe de Temple (Ap 21,22). Cette relativité du Temple a certainement été décisive pour que le judaïsme survive sans le Temple, tant dans la synagogue rabbinique que dans le christianisme (cf. Jn 2,21).
2.1.2 Activités cultuelles
Nous rappelons per transennam les ministres du culte – prêtres et lévites – en vue de la resignification du sacerdoce dans le NT (DE VAUX, 1973, p. 345-414). Ils sont en fonction des actions cultuelles, sacrifices et prières, qui ont laissé une marque profonde dans la liturgie chrétienne.
A. Sacrifices
« Le sacrifice était l’acte principal du culte d’Israël » (DE VAUX, 1973, p. 414). Il se réalisait sur l’autel (mizbêaḥ, dérivé de zabaḥ, immoler/offrir un sacrifice), qui était une plateforme, en pierre naturelle ou construite, comprenant une grille pour les sacrifices brûlés et un canal par où s’écoulait le sang. Le nom le plus courant pour les sacrifices est ‘olah, « ce qui monte » – la victime qui monte sur l’autel ou le « présent » (minḥah) qui monte vers Dieu. La traduction grecque holokauston vise principalement les sacrifices consumés par le feu de l’autel. Le caractère de don libre à Dieu, donc non magique, est bien accentué dans le rite lévitique. Il est souvent compris comme une rétribution à Dieu pour ses dons. Cela se manifeste particulièrement dans l’effusion du sang sur l’autel, car le sang est la vie et la vie appartient à Dieu (DE VAUX, 1973, p. 417). Dans les rituels plus tardifs, la minḥah, le « présent », un aliment ou une libation accompagnant l’‘olah, est très accentuée (DE VAUX, 1973, p. 417). Un autre terme pour divers types de sacrifices est qorban, qui signifie « approche », offrande.[6]
Un autre type, important pour la liturgie chrétienne ultérieure, est le sacrifice de paix, zebaḥ shelamim, dans lequel l’accent est mis sur la communion entre le ou les offrants, le prêtre et Dieu, et qui, pour cette raison, est appelé sacrifice de communion (DE VAUX, 1973, p. 417). Il en existe trois types : le sacrifice de louange, le sacrifice volontaire et le sacrifice votif (obligatoire par un vœu).
De plus, nous avons le sacrifice expiatoire, appelé sacrifice pour le péché (ḥaṭṭat) ou de réparation de la faute (’asham). Ce type occupe près de la moitié du code sacrificiel du Second Temple (dans le Lévitique) et est très important pour la théologie du NT, qui devient incompréhensible lorsque l’on cède à une certaine tendance à déprécier le sacrifice d’expiation.
De l’offrande végétale (minḥah, traduit par « présent » ou « offrande de nourriture »), une partie appelée ’azkarah (en grec zikkaron), qui signifie « mémorial », est brûlée sur l’autel et est considérée comme un moyen pour que Dieu se souvienne de l’offrant. Une variante de ce symbolisme consiste dans les « pains de proposition », une offrande exposée sur la table avec de l’encens, qui (par la fumée et la « douce odeur ») remplit la fonction d’’azkarah, mémorial. Les pains de proposition étaient réservés aux prêtres (cf. Mc 2,26), qui les consommaient à la fin de la semaine.
B. Activités secondaires
a. Culte, prière et chant
Les célébrations qui consistaient exclusivement en prières et en chants ne sont mentionnées que dans Ne 9 et Jl 1-2, tous deux des rites pénitentiels, mais la littérature sapientiale, surtout le Siracide, insiste sur le sacrifice de louange ou « des lèvres ».
Dans le contexte des sacrifices, sont mentionnées des formules de bénédiction (Nb 6,22-27) et de malédiction (Nb 5,21-22 ; Dt 27,14-26). Le Deutéronome formule des prières pour l’offrande des prémices (26,1-10) et de la dîme triennale (26,13-15) et pour la Pâque (6,20-25 ; cf. Ex 12,26-27), ainsi que pour le cas où l’homicide n’est pas localisé (Dt 27,1-8). Am 5,23 mentionne les hymnes accompagnant les sacrifices. Dans le livre des Chroniques, nous trouvons toute l’organisation des chantres qui accompagnaient les sacrifices et les processions.
Le lieu de plus grande considération pour la prière était le Temple (cf. la parabole de Jésus en Lc 18,10), mais il est évident qu’il n’était pas exclusif. Il a inspiré la coutume de prier en direction du Temple (Ps 5,8 ; 28,2 ; 138,2) ou de Jérusalem (1R 8,44.48 ; Dn 6,11). On pouvait prier en tout lieu et en tout temps, mais certains moments étaient spéciaux, comme la prière de nuit (Ps 4) et du matin (Ps 5), à des heures et des jours fixes (Jt 9,1 ; Dn 6,11). On priait debout, incliné ou à genoux.
Il est important que la prière dans l’AT soit adressée directement à Dieu, sans divinités intercesseuses (monothéisme !), bien qu’après l’exil, les anges médiateurs apparaissent peu à peu (p.ex. Tb 12,12). En 2M 15,14, il est dit que Jérémie prie pour le peuple et la Cité Sainte.
b. Les psaumes
Les Psaumes méritent une considération spéciale, car ils constituent pratiquement 1/10 du volume du Tanakh. Le psautier, dont les passages les plus anciens remontent à l’époque du nomadisme, est conçu en fonction du culte. En particulier, les psaumes « graduels » ou « des montées » accompagnaient les pèlerinages au Temple (Ps 120–134). Même les psaumes individuels ne le sont souvent que dans leur formulation, mais ils ont une nature collective et liturgique. Les en-têtes des Psaumes nous informent de leur usage liturgique. Réunissant divers genres littéraires, ils ont été subdivisés en cinq livres (comme les cinq livres de Moïse). Les psaumes, comme le dit Thomas d’Aquin, contiennent toute la Bible : ils rappellent en priant ce que les autres textes bibliques exposent en narrant ou en exhortant.
c. Rites de purification et de désacralisation
Un sens primordial qui se dégage du culte d’Israël est l’horreur de ce qui est intouchable, que ce soit par « excès » de sainteté (le saint), ou par le caractère de mélange troublant (l’impur) : l’Arche de l’Alliance, les vêtements du prêtre, les fluides du corps, le sang de l’accouchement… Il s’agissait d’une impureté cultuelle, non morale. Après un tel contact, une purification était nécessaire pour revenir à l’état normal. De sorte que le rite de purification pouvait aussi signifier la neutralisation du contact avec le saint, donc une désacralisation.
À cette fin, il existait des sacrifices et des ablutions, et il faut percevoir l’herméneutique de la pureté en la matière. La purification après l’accouchement était « tarifée » comme un holocauste et un sacrifice ḥaṭṭat (= pour le péché) (Lv 14,10-32), bien qu’il n’y eût aucune faute morale, car un accouchement était une chose bénie par Dieu ! Pour un naziréen, au terme de sa consécration, le tarif pour la « désacralisation » consistait en un sacrifice pour le péché et un autre de réparation (Nb 6,13-20 ; cf. Ac 21,23-24). Dans la même lignée, nous avons les multiples rites de purification d’objets, de vases, de vêtements, etc. (cf. DE VAUX, 1973, p. 460-461). Il existait même un rite spécial pour préparer l’eau purificatrice, l’eau lustrale, avec les cendres d’une vache rousse (Nb 19,1-10).
Un tabou fort était la lèpre. Lv 13–14 s’épuise à décrire le diagnostic et les rites purificatoires pour les « intouchables » qu’étaient les lépreux. La constatation était faite par le prêtre (Lv 14,3 ; cf. Mt 8,4 par. ; Lc 17,14).[7]
De Vaux observe que, après l’exil,
les Juifs devinrent de plus en plus conscients de la nécessité de la pureté, et la peur de l’impureté pouvait devenir une obsession. De là, les auteurs du Code Sacerdotal multiplièrent les cas d’impureté et prescrivirent tous les remèdes nécessaires […]. Le judaïsme post-biblique s’engagea encore plus loin dans la même direction. (1973, p. 464)
Et malgré la critique de Jésus et de Paul, bon nombre de chrétiens ont continué dans la même voie…
d. Rites de consécration
La purification était liée à la sainteté, que l’on recherchait soit en neutralisant le contact avec le saint ou le numineux (cf. supra), soit en se disposant à recevoir la sainteté (cf. infra), de sorte que les termes purifier et sanctifier/consacrer deviennent parfois synonymes (cf. Jn 11,55).
La sanctification ou consécration est la séparation de quelque chose ou de quelqu’un pour le saint ou le sacré. Il n’était pas toujours nécessaire d’un rite pour cela ; un contact ou une situation pouvait suffire. Les soldats pour la guerre sainte étaient sanctifiés, tout comme le butin conquis. Mais il y avait de nombreux rites de consécration. Bien que les prêtres fussent consacrés par l’action même du sacrifice, il y avait aussi la consécration des prêtres largement décrite dans Lv 8–10. Ici entre en jeu l’onction avec une huile spéciale (chrême), appliquée au grand prêtre, au sanctuaire, à l’autel, aux ustensiles (Ex 30,26-29 ; 40,9-11 ; Lv 8,10). L’onction était essentielle pour le rite d’intronisation du roi, l’« oint » par excellence, caractérisé par le nezer, la partie non rasée des cheveux (Ps 89,39).[8]
Une forme très explicite de consécration est le vœu, par lequel on « dévoue » quelque chose à Dieu : une dîme (Gn 28,22) ; une personne (Jg 11,30-31 ; 1S 1,11), etc. L’intention du vœu est de resserrer le lien avec Dieu. Comme les vœux étaient contraignants (Dt 22,22-24), il valait mieux ne pas en faire quand on n’était pas sûr (Ec 5,3-5). Certaines circonstances rendaient le vœu automatiquement invalide (Dt 23,19 ; Nb 30,4-17), et il pouvait toujours être commué par un don en argent (Lv 27,1-25). Le rite du vœu de naziréat est décrit explicitement, dans l’AT, uniquement pour Samson (Jg 13,4-5.7.13-14), mais mentionné dans le NT (Ac 18,18).
2.1.3 Fêtes et célébrations
Israël aimait les fêtes et la vie de la nature les provoquait : sevrage d’un enfant (Gn 21,8), mariage (Gn 29,22-23), enterrement (Gn 23,2), tonte du troupeau (1S 25,2-38), etc. Occasions publiques : couronnement du roi, victoire à la guerre (avec chant et danse : Ex 15 !). Même le jeûne avait un caractère festif (Za 7,1-3 ; Jl 1–2 ; Lm). Il y avait les pèlerinages à Béthel (Gn 35,1-4), à Silo (Jg 21,19-21 ; 1S 1,3-4), plus tard intégrés dans le culte unique au temple de Jérusalem.
Les services ordinaires au Temple :
– l’holocauste quotidien de deux agneaux, un le matin et l’autre au crépuscule (Ex 29,38-42 ; Nb 28,2-8), appelé « sacrifice perpétuel » (Ex 29,42 ; Nb 28 etc.), interrompu pendant la persécution d’Antiochus (Dn 11,13 etc.) et rétabli par Judas Maccabée (1M 4,36-58). Au temps du NT, le sacrifice est célébré en plein après-midi (Mt 27,46-30 par.).
– le sabbat, il y avait une offrande supplémentaire de deux autres agneaux, une oblation et une libation (Nb 28,9-10), mais Ézéchiel prévoit cela en bien plus grand (Ez 46,1-5).
– le sacrifice de la nouvelle lune (Nb 28,11-15), ou néoménie, commençait chaque nouveau mois du calendrier lunaire. Cette fête est très archaïque, mentionnée avec le sabbat en Os 2,13. Comme le sabbat, c’est un jour de repos (Am 8,5), un jour pour consulter l’« homme de Dieu » (2R 4,23), un jour de fête pour le roi Saül (1S 20,5 etc.), mais un objet d’indifférence pour Paul en Col 2,16. Seul le repos de la nouvelle lune du septième mois a obtenu une loi propre en Lv 23,24-25 ; Nb 29,1-6 (Jour de l’Acclamation, préparant Yom Kippour).
2.1.4 Le calendrier religieux
À côté des sabbats et des néoménies, Israël a des réunions (mo‘ed) à diverses occasions, principalement lors des trois grandes fêtes annuelles de pèlerinage, avec procession et danses (ḥag). Ce sont : 1) les Azymes (maṣṣot), dans le Dt combinés avec la Pâque (pésaḥ), tous deux rappelant la sortie d’Égypte ; 2) la Moisson/Sega (qaṣîr), appelée Semaines (shabuot) dans le Yahviste et le Dt ; 3) la Récolte (’asiph), appelée Soukkot, Tentes, dans le Dt. Dans le Dt, le caractère agropastoral est dilué et la célébration de la Pâque est fixée en un lieu unique, Jérusalem (réforme de Josias, cf. 2R 23,21-23).
traditions : |
Élohiste
Ex 23,14-17 |
Yahviste
Ex 34,18-23 |
Deutéron.
Dt 16,1-17 |
définitions : | |||
comparaître 3 fois par an | + | – | – |
au mois d’abib – souvenir de la sortie d’Égypte | + | + | + |
pains sans levain (maṣṣot) au mois d’abib, 7 jours | + | + | + |
pâque (pésaḥ) de YHWH – souvenir de la sortie d’Égypte | – | – | + |
au lieu que Dieu aura choisi (Jérusalem) | – | – | + |
offrande des premiers-nés | – | + | – |
sega/moisson (qaṣîr) après 7 semaines | + | + (>shabuot, semaines) | + (>sept semaines) |
récolte (’asiph) à la sortie/à la fin de l’année | + | + | + (>soukkot, tentes) |
présence de tous les mâles | + | + | + |
Le code sacerdotal, dans la Loi de Sainteté, Lv 23, suivi par le judaïsme jusqu’à ce jour, est beaucoup plus détaillé.[9] Il adopte l’année babylonienne, considérant abib comme le premier mois (printemps, mars-avril) (23,5). La première fête est la Pâque, combinée avec les Azymes, le 15 du mois d’abib (commençant le 14 au soir ; 23,5-6), avec une « sainte assemblée » le premier et le septième jour (23,7-8). La deuxième, sans nom propre, est le cinquantième jour (d’où, en grec, Pentecôte). La troisième, du nom de Soukkot, Tentes, est le 15 du « septième mois », mais le calendrier inclut, avant cela, à la nouvelle lune (premier jour) du mois de tishri (sept-oct), la fête du chofar (jour de l’Acclamation, ou Nouvel An, Rosh Hashanah) et, le 10, le Yom Kippour (Expiation, décrit en Lv 16).
Le calendrier utopique d’Ez 45,18-25 ne mentionne même pas la fête des Semaines et transforme la Pâque et les Tentes en célébrations pénitentielles. La législation complète de Nb 28–29, cependant, ne tient pas compte du projet d’Ézéchiel et complète avec d’autres rites ceux de Lv 23, présentant la liste complète des sacrifices au temps d’Esdras.
Il y eut encore d’autres fêtes, mais ne se conservent que Pourim (Sorts, cf. Est 10,3k), le 14 adar (fév-mars), et la Dédicace (du Temple par Judas Maccabée, cf. 1M 4,56), le 25 kislev (nov-déc).
2.1.5 Le sabbat
Le sabbat mérite une considération spéciale.[10] Le terme shabbat ou, plus emphatique, shabbatôn est probablement dérivé du verbe shabat, cesser (le travail, cf. Gn 2,3), d’où, se reposer. Ses origines se perdent dans les temps archaïques, et son obligation est mentionnée dans les codes légaux élohiste et yahviste (Ex 23,12 ; 34,21), dans le Décalogue (Dt 5,12-14‖Ex 20,8-10) et dans le Code Sacerdotal (Ex 31,12-17). Il était pratiqué depuis l’occupation de Canaan (vers 1100 av. J.-C.). Mathématiquement, il ne cadrait pas dans la division quadruple du mois lunaire de 29 jours et demi ; on se reposait simplement tous les sept jours, car sept est le nombre de la plénitude… Sans tenir compte des rares cas où d’autres jours étaient désignés pour un repos festif, le septième jour soutient comme un basso continuo de sainteté tout le rythme de la communauté. C’est pourquoi il apparaît dans les textes qui se réfèrent à l’Alliance, et la théologie sacerdotale l’a associé à l’œuvre même de la création (Gn 1,1–2,3). C’est le jour dédié/consacré à YHWH (Lv 23,3.38 ; Ex 31,15), consacré par YHWH lui-même (Ex 20,11). Associé à l’Alliance, son observance est vue comme une garantie de Salut (Is 58, 13-14 ; cf. 56,2 ; Jr 17,19-27), et la non-observance entraînait l’exclusion de la communauté (Ex 31,14 ; 35,2 ; Nb 15,32-36) et le châtiment de Dieu (Ex 20,13 ; Ne 13,17-18). Après l’exil, quand il était impossible d’observer les autres fêtes, le sabbat est devenu la marque du juif fidèle. Cependant, les règles sont devenues de plus en plus strictes. Au temps des Maccabées, les soldats préféraient mourir plutôt que de combattre le sabbat (1M 2,39-41 ; 9,43-49). Le livre des Jubilés et les moines de Qumrân sont encore plus sévères. Il était temps que Jésus apparaisse…
2.2 La liturgie dans le NT
Il convient de montrer ici la continuité et la discontinuité de la liturgie du NT avec celle de l’AT, ainsi que la nouveauté décisive de la fraction du pain et du mémorial de la mort et de la résurrection du Christ.
Le point de rupture entre l’AT et le NT se nomme Jésus.
Dans sa vision prophético-apocalyptique, en tant que porte-parole/révélateur[11] de l’arrivée du royaume de Dieu, Jésus ne cherchait pas à continuer, et encore moins à restaurer, les institutions religieuses du judaïsme, mais plutôt à répandre sur le peuple l’esprit de purification et de renouveau annoncé par Jérémie et Ézéchiel, en répétant les censures contre le culte prononcées par Amos, Osée et Isaïe. Cela, en accompagnant ses paroles de signes de son autorité (exousia), dans le style d’Élie et d’Élisée. Il ne se souciait pas de restaurer le Temple, mais la « tente ruinée de David », le règne instauré par Dieu lui-même par l’intermédiaire de son serviteur David (Am 9,11-12, cf. Ac 15,16), en d’autres termes : le peuple de Dieu.
Nous avons deux orientations pour comprendre l’attitude de Jésus par rapport au culte et à la Loi en général (qui, dans la compréhension des pharisiens et des scribes, était devenue une sorte de culte) :
1) l’exigence prophétique d’un cœur pur dans l’observance de la Loi et du culte, en privilégiant l’amour de Dieu et, par conséquent, du prochain[12], en réalisant la justice (ṣedeq), la fidélité (’emet) et la miséricorde (ḥesed) ;
2) la critique de la fausseté en général (hypocrisie) et, de manière spéciale, dans le culte (Mc 7, Mt 23), culminant dans le geste et les paroles prophétiques (révélateurs du kairós de Dieu) concernant le Temple (Mc 11,15-18 ; 13,1-37 et par.) – le déclencheur de sa condamnation par les chefs religieux.
2.2.1 Continuité et rupture par rapport à la liturgie d’Israël
La principale continuité entre la religion d’Israël et la religion chrétienne réside dans le caractère mémoriel, à la différence du caractère naturiste ou cosmologique des religions environnantes : « La religion judéo-chrétienne se réfère fondamentalement à des événements historiques, la colonne vertébrale de son culte étant le concept de mémoire (zikkaron) » (BAZURKO, 1990, p. 42). Cependant, il s’agit d’une continuité « interprétée » : les moments et les actes du culte d’Israël reçoivent un sens nouveau dans les communautés chrétiennes. D’ailleurs, déjà en Israël, les prophètes et les sages ont insisté pour critiquer le formalisme qui consistait à accomplir le culte pour l’accomplir, sans engagement envers le projet de Dieu : « Ce peuple s’approche de moi de la bouche seulement, et m’honore des lèvres, mais son cœur est éloigné de moi, et la crainte qu’il a de moi n’est qu’un précepte humain, appris par routine » (Is 29,13) – critique reprise par Jésus lui-même (Mc 7,6-7 par.).
Jésus et ses disciples/adeptes n’ont pas créé un nouveau culte. Ils ont vécu les coutumes d’Israël, mais de manière sélective et critique, en abandonnant certaines et en en resignifiant d’autres. Jésus fréquente la synagogue le sabbat, participe au culte du Temple et aux pèlerinages, mais il transgresse aussi l’ordre cultuel, manifestant sa souveraineté sur le sabbat (Mc 2,23-28 par.) et sur les lois de pureté alimentaire (Mc 7,1-23 par.). De même qu’il réinterprète la Loi en fonction de la justice et de la miséricorde de Dieu (Sermon sur la montagne), le culte est pour lui une occasion de révéler la miséricorde de Dieu (Mc 3,1-6 par.), de la même manière qu’il la révèle en dehors du culte, lors des repas, des rencontres. Jésus prolonge la tradition critique des prophètes (Mc 11,15-17 cf. Is 56,7 et Jr 7,3-11 ; Mt 9,13 cf. Os 6,6). Il subordonne le sacrifice au pardon fraternel (Mt 5,23-24). Il enseigne la simplicité dans la prière (Mt 6,7-13‖ Lc 11,1-4). Tout cela est condensé en Jn 4,21-23 : « L’heure vient, et elle est déjà là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ». Le lieu du culte n’a pas d’importance. C’est pourquoi la prédication prophético-apocalyptique (= révélatrice) de Jésus peut annoncer la destruction du Temple (Mc 13 par.), et l’« apocalyptique de Patmos » montre la vision de la Jérusalem Céleste sans temple, car la présence de Dieu et de l’Agneau est immédiate (Ap 21,22).
2.2.2 La fraction du pain et le mémorial de la Cène du Seigneur
La grande nouveauté dans la liturgie chrétienne est la fraction du pain et la Cène du Seigneur. La fraction du pain a un signe précurseur dans un geste prophétique de Jésus, la multiplication des pains. Geste prophétique, car Élie (1R 17,8-16) et surtout Élisée (2R 4,42-44) ont également accompli des signes de leur mission de la part de Dieu par des gestes similaires. Sur ce point, il convient de valoriser quelques traits du récit johannique qui, bien que basé sur la forme marcienne, représente peut-être mieux l’importance de cette tradition dans l’ensemble de la mémoire chrétienne. Dans les cinq versions synoptiques[13], apparaissent deux détails qui suggèrent le caractère rituel de la « fraction du pain », qui est l’une des caractéristiques de la première communauté chrétienne selon Ac 2,42-46 : la fraction du pain avec action de grâces (cf. aussi Lc 24,30.35). Un autre trait qui suggère le rite de la communauté est le rôle de coopérateurs/distributeurs confié aux disciples. Des allusions aux douze tribus suggèrent le caractère messianique attribué à ce fait. La version johannique, qui ne contient ni le terme « fraction » ni le rôle de médiation des disciples, utilise par contre ce récit comme base pour le discours du « pain de vie » avec de nettes allusions à ce que Paul appelle « la cène du Seigneur » (KONINGS, 2020).
En effet, la littérature paulinienne laisse entrevoir dans les réunions des communautés un moment pour la cène du Seigneur, comprise comme mémorial de la mort et de la résurrection du Christ. Dans les évangiles synoptiques, cette cène est décrite de manière détaillée, avec des indices de diverses traditions. Le contenu spécifique du mémorial est la mort de Jésus, vue comme un avant-goût de son retour dans la gloire eschatologique. Ce trait eschatologique est particulièrement clair dans la version de Lc 22,15-18 (composée de deux traditions).
Un deuxième élément de la Cène du Seigneur est le caractère sacrificiel. La référence au sacrifice de l’Alliance en Ex 24,1-11 est nette, par les paroles de Jésus « ceci est mon sang de la (nouvelle) Alliance ». En Mt 26,28 on lit « pour la rémission des péchés ». Cela ajoute-t-il quelque chose à la formule « pour vous » ou « pour la multitude » (= tous) qui se trouve dans les diverses traditions ? La forme de Matthieu semble rapprocher la mort de Jésus du sacrifice pour le péché, ce qui n’est pas nécessairement le sens originel de « pour vous/pour la multitude », qui peut avoir le sens de la fondation de la nouvelle Alliance, un sacrifice de communion.
L’évangile johannique (qui ne rapporte pas les paroles de l’institution de la Cène et lie l’eucharistie à la multiplication des pains/« pain de vie ») semble unir dans la mort de Jésus la référence à l’agneau offert pour le péché (Jn 1,29.36) et l’agneau pascal (19,36). Dans les lettres johanniques, Jésus est appelé victime d’expiation (1Jn 2,2 ; 4,10).
C’est Paul qui utilise le langage sacrificiel pour rendre compréhensible l’œuvre de Jésus, mais dans un sens assez général, accessible aux Gentils qui constituaient une partie de son lectorat. Cependant, la Lettre aux Hébreux (qui n’est pas de Paul !) décrit, pour un public éminemment juif et sacerdotal, la vie et la mort de Jésus par une relecture de toute la tradition sacrificielle de la théologie sacerdotale de l’AT. On notera cependant que c’est de la typologie et ne peut servir à une interprétation cléricale du sacerdoce ministériel dans la communauté chrétienne.
2.2.3 Prières et hymnes
Éliminant toute verbosité, Jésus a donné aux simples la prière quotidienne, le Notre Père, qui, selon Augustin, contient tout ce que l’on peut demander à Dieu. C’est pourquoi elle occupe la place mathématiquement centrale dans le Sermon sur la Montagne (5,1–6,8|6,9-13|6,14–7,28).
Les communautés nées de Jésus n’ont pas manqué de poursuivre la tradition hymnologique de l’AT, en créant des hymnes qui expriment l’histoire du salut et la louange au Christ et au Père. Par exemple, Ph 2,6-11 ; Col 1,15-20 ; Ep 1,3-14 ; 1P 2,21-24 ; Lc 1,68-79 ; 1,46-55 ; 2,29-32 ; les cantiques de l’Apocalypse ; la forme originale du prologue johannique Jn 1,1-5.9-14 ; entre autres (GOURGUES, 1995 ; MAREANO, 2018).[14]
3 La Bible dans la Liturgie
La symbiose entre la Bible et la Liturgie ne signifie pas seulement que la liturgie a une place permanente dans les écrits bibliques, comme nous venons de le décrire, mais, inversement, que la Bible a une place permanente dans la Liturgie.
3.1 La lecture biblique dans la liturgie juive
Le culte de l’Israël Ancien connaissait des rites sacrificiels, divinatoires, expiatoires, apotropaïques, etc., qui furent progressivement concentrés dans l’adoration du Dieu unique, YHWH, culminant dans l’unification du culte autour du Temple de Jérusalem, par le roi Josias vers 620 av. J.-C., peu avant que Juda ne soit frappé par l’exil babylonien (597-538 av. J.-C.). Après l’exil, avec le développement du culte synagogal, la liturgie juive s’est transformée progressivement en une liturgie de la Parole. Pendant la domination perse, la pratique de la lecture publique de la Loi fut instaurée, dans la liturgie du jour de l’Acclamation, au début du septième mois (aujourd’hui fête du nouvel an), probablement en 397 av. J.-C. (Ne 7,52–8,3). La Bible mentionne également à plusieurs occasions antérieures une lecture devant le peuple ou les autorités d’un texte législatif ultérieurement intégré à la Torah :[15] la lecture solennelle de la Loi en Ex 24,7, la lecture de la Loi en 2R 23,3 et l’institution de la pratique septennale en Dt 31,9-13.
Au fur et à mesure que les écrits bibliques d’Israël étaient rassemblés, ils sont devenus une référence pour l’identité confessionnelle, comme mémoire des magnalia Dei et comme règle de vie pour la communauté. Cette signification complexe se résume dans le terme hébreu torah, « instruction », traduit en grec par nomos, « loi » (entendue comme discipline ou éducation, comparable à la paideia des Grecs).
Avec cette double finalité de commémoration et d’éducation, la synagogue a adopté la lecture liturgique des cinq livres dits « de Moïse » (la lecture de la torah au sens strict), en plus des passages mémorables des « prophètes » (la haftarah), le tout encadré par les « louanges » (les tehillim, psaumes).
À l’époque de l’activité de Jésus de Nazareth, cette « lecture de la Loi » était pratiquée, selon la coutume locale, sur un cycle d’un ou de trois ans, ou aussi de manière plus libre (TREBOLLE BARRERA, 1996, p. 141-144). De plus, il y avait d’autres célébrations qui sont décrites dans des études spécifiques sur la liturgie de la Parole dans le judaïsme.
Contrairement à la liturgie sacrificielle, réservée au Temple de Jérusalem, la liturgie synagogale (de lecture) peut être réalisée dans toutes les communautés, même dans la diaspora, étant soutenue par l’observance du shabbat, le repos du septième jour, qui garantit un espace pour la synaxe ou la réunion synagogale – un exemple imité par le dimanche chrétien. La liturgie du Temple, après l’unification deutéronomiste, était loin du peuple dispersé, malgré la prescription des « montées » à la Pâque, à la Pentecôte et aux Tabernacles. La liturgie de la lecture dans la synagogue remédiait à la distance du Temple. Ainsi, l’instruction de la communauté, les fêtes de « tout Israël » et la piété quotidienne de l’israélite se nourrissent de la tradition biblique et, à leur tour, la réalimentent.
Après la destruction du Second Temple, en 70 ap. J.-C., le culte sabbatique, avec la lecture de la Loi et des Prophètes accompagnée d’hymnes et de prières, est devenu l’épine dorsale de la religion juive, occupant pratiquement la place du Temple. Un signe de cela est que le président reçoit le titre de qohên, prêtre. Lorsque le sacrifice du Temple a perdu sa place centrale, l’accent mis sur le sacrifice de louange et le sacrifice spirituel a grandi, déjà dans le judaïsme, mais surtout dans le christianisme.
3.2 La lecture biblique dans la liturgie chrétienne (catholique)
La deuxième partie de Dei Verbum (« Verbum in Ecclesia », n. 52-89) offre les principales références pour la compréhension de l’usage de la Bible dans la liturgie catholique.
Héritière de la liturgie juive, la liturgie chrétienne a, dès ses débuts, consacré un large espace à la proclamation de la Parole de Dieu trouvée dans la Bible. Les célébrations chrétiennes incluaient dès leur origine la lecture des Écritures (Justin, Apol. 67), bien que dans certains milieux les lectures se limitaient au NT (JUNGMANN, 1958, p. 337). Il est probable que les judéo-chrétiens assistaient à la lecture biblique synagogale le samedi et, au coucher du soleil, lorsque commençait « le premier jour de la semaine », ils célébraient la cène mémorielle du mystère pascal (mort et résurrection) de Jésus. On peut supposer que la combinaison de la lecture des Écritures et de la célébration du repas fraternel, avec action de grâces (eucharistie) célébrant le mystère pascal du Christ, s’est faite très tôt, comme le suggèrent également d’autres textes du NT (Lc 24) et les premiers écrits patristiques (Didachè, Lettre à Diognète). Certes, les louanges, les hymnes chrétiens et les psaumes de l’AT ne manquaient pas, souvent interprétés comme une prophétie de l’événement Jésus-Christ.
« Considérant l’Église comme ‘maison de la Parole’, il faut avant tout prêter attention à la sainte Liturgie » (VD n. 52). « Chaque action liturgique est, de par sa nature, imprégnée de la Sainte Écriture » (VD n. 52). La lecture biblique dans la Liturgie est une manière pour le Christ d’être présent (cf. VD n. 51 ; DV n. 8) – en ouvrant les Écritures (cf. Lc 24,32). Cette expression de Luc et la présence fréquente d’allusions, d’applications, de sens pléniers des Écritures d’Israël montrent que l’on ne peut se dispenser de la présence de l’AT dans la liturgie chrétienne.
Cela s’applique en premier lieu à la célébration de la Parole à la messe (ou sans Eucharistie) et à l’Office Divin. « On voit aussi ici la sage pédagogie de l’Église qui proclame et écoute la Sainte Écriture en suivant le rythme de l’année liturgique. Nous voyons la Parole de Dieu distribuée au fil du temps, particulièrement dans la célébration eucharistique et dans la Liturgie des Heures » (VD n. 52). Dans ces deux formes de liturgie est présente, en principe, toute la Bible de l’AT et du NT. Le cycle triennal des lectures dominicales présente l’ensemble du NT et, de l’AT, les passages qui illustrent d’une manière ou d’une autre les lectures du NT (principalement les évangiles), en rappelant des textes analogues ou des thèmes prophétiques qui trouvent dans le NT leur plein sens. Dans le cycle biennal des célébrations des jours de semaine, on lit la Bible intégralement. Il en va de même pour l’Office Divin (le Bréviaire), qui inclut, en plus de la lecture de la Bible entière, les exégèses des Saints Pères et des maîtres spirituels jusqu’à nos jours. De plus, l’Office Divin a le grand mérite de maintenir, tout au long de la journée, l’Église en contact avec les Psaumes, expression par excellence de l’héritage spirituel d’Israël, partagé par Jésus lui-même.
Le lien entre la lecture biblique et le sacrement de l’Eucharistie est de première importance : les disciples d’Emmaüs ont reconnu le Ressuscité à la fraction du pain après qu’il leur eut expliqué les Écritures (Lc 24,32.35). La parole et l’action salvifique de Jésus se trouvent unies dans la même mémoire. Si les lectures bibliques rendent présent l’enseignement de Jésus (y compris ses références à l’AT), le mémorial de sa mort et de sa résurrection rend présente la vérité de cet enseignement dans le don de sa propre vie par amour jusqu’à la fin, reçu en communion par ses fidèles.
Cette articulation de la Parole avec l’action de Jésus se présente, d’une certaine manière, également dans les autres Sacrements, maintenant que la réforme liturgique de Vatican II a inclus en eux tous une « liturgie de la Parole ».
En regardant ce panorama, on peut conclure que, pour le chrétien catholique, la participation fidèle à la Liturgie, pourvu qu’elle soit bien préparée et présentée, est une immersion biblique, qui le rend spirituellement préparé à jouir pleinement de la mémoire du Christ qui est le cœur de sa foi.
4 La formation biblico-liturgique
Il est évident que la jouissance de la richesse biblique dans notre culture ne se fait pas spontanément. Si Jésus lui-même, après avoir enseigné en paraboles qui devaient parler d’elles-mêmes, s’est vu obligé de donner des explications à travers ses disciples (Mc 4,33-34), cette exigence devient plus pressante à notre époque, si éloignée du monde de Jésus. Depuis les premiers temps du christianisme, nous connaissons l’homélie ou l’explication des Écritures qui, d’ailleurs, existait déjà dans la synagogue juive. Le NT lui-même, tant dans les évangiles que dans les lettres, révèle cette pratique. L’explication de la parabole du semeur, les discours de révélation dans le Quatrième Évangile, les homélies baptismales dans la Lettre aux Éphésiens et dans la 1ère de Pierre confirment cette coutume. Consciente de la nécessité d’explication, Sacrosanctum Concilium recommande que la lecture biblique dans la Liturgie de la Parole soit accompagnée d’une brève explication, sinon d’une homélie détaillée. L’une des grandes préoccupations du pape François est l’homélie (EG n. 135-144).
La formation biblico-liturgique des ministres et des agents pastoraux est une priorité urgente, mais elle ne peut être conçue comme un simple enrichissement personnel pour la vie spirituelle ou, comme il arrive parfois, pour la simple érudition. Elle doit être « ministérielle », c’est-à-dire tournée vers le service du Peuple de Dieu. Le pape Benoît XVI exhorte :
C’est pourquoi j’exhorte les Pasteurs de l’Église et les agents pastoraux à faire en sorte que tous les fidèles soient éduqués à savourer le sens profond de la Parole de Dieu qui est distribuée tout au long de l’année dans la liturgie, en montrant les mystères fondamentaux de notre foi. La juste approche de la Sainte Écriture en dépend aussi. (VD n. 52).
Les groupes d’étude et de lecture biblique avec le peuple autour de thèmes ou de livres spécifiques peuvent compléter opportunément la grande pédagogie biblique qu’est la Liturgie, à condition de ne pas la supplanter. C’est grâce à ce type d’activités que, ces dernières décennies, au Brésil et en Amérique latine, ainsi que dans d’autres parties du monde, la Bible a été, pour ainsi dire, retirée des mains des spécialistes ou des clercs et rendue au peuple.
« Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de les avoir révélées aux tout-petits » (Lc 10,21).
Johan Konings, SJ. Faculté Jésuite de Philosophie et Théologie. Texte original en portugais. Posté en décembre 2020.
Références
BASURKA, Xabier; GOENAGA, J. A. A vida litúrgico-sacramental em sua evolução histórica. In: BOROBIO, Dionisio (org.). A Celebração na Igreja. I: Liturgia e Sacramentologia Fundamental. São Paulo: Loyola, 1990. p. 37-160.
BÍBLIA TEB – Tradução Ecumênica da Bíblia. 3.ed. São Paulo: Loyola, 2020.
DE VAUX, Roland. Ancient Israel: Its Life and Institutions. London: Darton, 1973.
GOURGUES, Michel. Os hinos do Novo Testamento. São Paulo: Paulus, 1995.
JUNGMANN, Josef. A. Bibel. II. Gebrauch in der Kirche. In: Lexikon für Theologie und Kirche, Bd. 2. Freiburg: Herder, 1958. p. 337.
KONINGS, Johan. A Bíblia, sua origem e sua leitura. Introdução ao estudo da Bíblia. 8. ed. Petrópolis: Vozes, 2014.
KONINGS, Johan. A Palavra que é Pão: a Eucaristia no Quarto Evangelho. Fronteiras, Recife, v. 3, n. 2, p. 478-499, jul/dez 2020.
MAREANO, Marcus Aurélio Alves. Os hinos do Apocalipse: Mysterium tremendum et fascinans. Tese Doutorado, FAJE. Belo Horizonte, 2018.
TREBOLLE BARRERA, Julio. A Bíblia judaica e a Bíblia cristã: introdução à história da Bíblia. Petrópolis: Vozes,1996.
[1] Dans le contexte grec, « liturgie » signifie simplement culte ou événement public.
[2] Cette partie se base principalement sur les informations de DE VAUX, Roland. Ancient Israel: Its Life and Institutions. London: Darton, 1973. p. 271-515 (= Part IV: Religious Institutions).
[3] Les hauts lieux (« autels ») mentionnés dans l’AT sont souvent liés à des théophanies, des eaux ou des arbres sacrés, des pyramides (ziggourats) ou, à partir d’un certain moment, des temples. Le temple de Jérusalem a commencé comme temple privé de la maison de David/Salomon.
[4] Sur quelques différences dans la description de la tradition élohiste et de la tradition sacerdotale, voir DE VAUX, 1973, p. 295.
[5] Qu’elle ait été considérée comme un piédestal ou un trône du Dieu invisible est une signification ultérieure, qui n’apparaît pas dans les anciennes traditions narratives. Des meubles similaires apparaissent également dans les religions voisines (DE VAUX, 1973, p. 300).
[6] Une description assez claire se trouve dans l’introduction au Lévitique de la BÍBLIA TEB – Tradução Ecumênica da Bíblia.
[7] Lv 14 combine deux rites : un archaïque, qui voit la contamination comme l’œuvre du démon, exigeant donc un exorcisme ; et un plus récent, assimilé aux rites de purification lévitique (DE VAUX, 1973, p. 463).
[8] En 2S 1,10, la traduction correcte de nezer (du verbe nazar, séparer) n’est pas couronne, mais signe de consécration (DE VAUX, 1973, p. 465).
[9] La critique littéraire constate que Lv 23 est une fusion de deux traditions, d’où la complexité du texte (DE VAUX, 1973, p. 473).
[10] Nous résumons ici DE VAUX, 1973, p. 481-483.
[11] Il faut rappeler que Jésus se présente comme médiateur de la révélation en Mt 11,25-27‖Lc 10,21-22, et c’est dans ce rôle qu’il apparaît en Ap 1,1.
[12] Le sens de la jonction de l’amour de Dieu et du prochain (qui que ce soit) est que l’amour de Dieu se réalise dans l’amour loyal, généreux et juste envers le prochain dont il est le protecteur ; cf. Mc 12,28-34 par.
[13] Marc et Matthieu rapportent deux formes du récit, Luc et Jean une seule.
[14] Les hymnes ne se laissent pas toujours délimiter avec certitude dans le NT.
[15] Des cas de ce qu’on appelle « la Bible avant la Bible » (KONINGS, 2014, p. 61-62).