Sommaire
1 Une Histoire “vue d’en bas”
2 Pour une historiographie plaidoyante des “exclus de l’histoire”
3 “Histoire” indigène : mémoire et ethno-histoire
4 Les afrodescendants et leurs territoires
5 Références bibliographiques
1 Une Histoire “vue d’en bas”
En octobre 2014, le Pape François a prononcĂ© un discours historique devant les participants Ă la Rencontre mondiale des mouvements populaires. Il y Ă©voqua ainsi le “protagonisme historique des pauvres” ou des “exclus de l’histoire” : “(…) Les pauvres ne font pas que souffrir de l’injustice, ils luttent aussi contre elle ! (…) Vous sentez que les pauvres n’attendent plus et veulent ĂŞtre des protagonistes, ils s’organisent, Ă©tudient, travaillent, revendiquent et, surtout, pratiquent cette solidaritĂ© si particulière qui existe entre ceux qui souffrent, entre les pauvres, et que notre civilisation semble avoir oubliĂ©e ou, du moins, qu’elle dĂ©sire fortement oublier.”
En effet, l’historiographie ne s’est penchée que récemment sur ces “protagonistes anonymes de l’histoire” (VAINFAS, 2002). En 1988, l’historienne française Michelle Perrot a réuni une série d’articles écrits entre les années 1970 et 1980, qu’elle a publiés sous le titre Les exclus de l’histoire. Femmes, prisonniers et ouvriers étaient considérés comme des objets d’analyse fondamentaux. De la même manière, en 1985, fut publié History from below: studies in popular protest and popular ideology (KRANTZ, 1988), en hommage à George Rudé, l’un des pionniers de l’étude approfondie des formes de protestation des travailleurs ruraux et urbains. Les auteurs cherchaient à affirmer l’importance d’individus restés oubliés pendant des décennies, à soulever des problématiques possibles, à présenter les résultats de leurs recherches et à mettre en lumière les fructueux dialogues théorico-méthodologiques de leur époque. Le quotidien des gens ordinaires, les systèmes de valeurs et coutumes identitaires, les solidarités et conflits existants, ainsi que leurs différences, faisaient l’objet de recherches croissantes. Un espace encore inexploré dans la production académique était revendiqué. Selon Jim Sharpe, cette perspective attira immédiatement les historiens désireux d’élargir les frontières de leur discipline, d’ouvrir de nouveaux champs de recherche et, surtout, d’explorer les expériences historiques de ces hommes et femmes dont l’expérience est si souvent ignorée, tacitement acceptée ou simplement mentionnée au passage dans le “courant” de l’histoire. (SHARPE, 1992, p.41)
Parmi les historiens de l’Église, notamment en Amérique latine et dans les Caraïbes, cet “objet” de recherche – les “exclus de l’histoire” – a également gagné en importance dans les années 1970 avec le projet d’écriture d’une Histoire de l’Église en Amérique latine “à partir du peuple”, entreprise dirigée par Enrique Dussel et l’équipe de la CEHILA (Commission d’Études sur l’Histoire de l’Église en Amérique latine). Le critère fondamental, le lieu herméneutique par excellence de l’histoire de l’Église adopté par cette équipe, était le “pauvre”. Tout jugement interprétatif des faits manifestant la réalité de l’Église devait se faire à partir de sa relation avec sa mission essentielle : évangéliser les pauvres.
2 Pour une historiographie plaidoyante des “exclus de l’histoire”
Pendant des années membre de l’équipe de CEHILA-Brésil, le missiologue Paulo Suess (1994), dans un article célèbre, a présenté certaines exigences pour une “Histoire des Autres écrite par nous” et une “Histoire des Autres racontée par eux”, en prenant la catégorie “altérité” comme point central.
Qui est l’autre ? L’autre ici désigne en réalité les dits “exclus”, non seulement de l’histoire, mais souvent du système social lui-même. La catégorie d’altérité (l’autre), prise isolément, ne suffit pas à caractériser la question. Pour les peuples indigènes, le colonisateur était aussi un autre. Dans ce contexte, selon Suess, ce n’est pas l’autre en soi qui importe, indépendamment de sa condition sociale, mais l’autre en tant qu’“exclu de l’histoire”. C’est la question sociale au sein de la question culturelle qui importe. La catégorie d’altérité ajoute à “l’exclu” générique quelque chose d’essentiel : sa condition culturelle, qui lui confère une identité et le situe dans l’espace géographique et dans le temps historique. Dans l’histoire de l’humanité, l’altérité est antérieure à l’exclusion sociale, même si dans l’histoire des individus et des groupes sociaux les deux peuvent coïncider.
Pour Paulo Suess, en assumant le passé d’un peuple ou d’un groupe social à partir de sa propre perspective, l’historiographie peut être une “bonne nouvelle”, et ainsi contribuer à la viabilité du projet de vie du groupe en question. Mais elle peut aussi devenir une “mauvaise nouvelle” en réduisant le passé de ce peuple à une préhistoire, une ethnographie ou une archéologie. Le préjudice de cette approche réside dans le rétrécissement de la perspective utopique ou dans le blocage total du possible inédit de ce groupe. Le passé “nain” se projette sur l’avenir. Le passé étranglé étouffe l’avenir.
Altérité et exclusion des colonisés ne garantissent pas nécessairement un accès correct à leur propre histoire. L’histoire d’un peuple ou d’un groupe social est, d’une certaine manière, toujours racontée par d’autres, non seulement dans la succession des générations, de manière diachronique, mais aussi de manière synchronique. L’histoire du génocide des Nambikwara et des Yanomami est racontée par les survivants, par d’autres, voisins, témoins qui se font “voix des sans-voix”.
Mais l’autre, en racontant l’histoire de son propre peuple, n’échappe pas non plus à l’ambiguïté représentative, plaidoyante et intéressée du porte-parole. L’autre peut être un dominateur interne de sa “tribu” ou un instrument de domination de forces externes. L’autre peut être le représentant de lui-même uniquement, et non de son peuple. L’altérité en soi ne légitime pas le discours historiographique, pas plus que la solidarité en soi ne le fait. Même face à l’autre/exclu, il faut se demander au nom de qui il parle et quels intérêts il représente. Le référentiel de l’altérité ethnico-culturelle (noir, indien, métis) ne garantit pas “l’histoire véritable”. De même, le fait qu’une personne écrive sur sa propre classe sociale ou qu’elle ait participé à l’événement raconté ne garantit pas la “véritable histoire”. Un guarani n’écrit pas nécessairement l’histoire du peuple guarani mieux qu’un non-guarani. D’où la question : qu’est-ce qu’un guarani exclu doit posséder pour être un historien fiable de l’histoire de son peuple, si ni son ethnicité, ni sa pauvreté, ni son témoignage oculaire ne constituent une garantie suffisante pour une telle entreprise ? Il doit, en plus des outils heuristiques de l’historien, répondre avec loyauté, perspicacité et astuce à la confiance et à la délégation de son peuple. La loyauté signifie restituer cette histoire au peuple d’une manière qui renforce son projet historique. L’histoire “véritable”, dans la perspective d’une herméneutique à partir de l’autre/exclu, est toujours celle qui, à partir du passé, renforce le projet historique du peuple ou groupe social concerné. Le “projet de vie” fournit la clé d’interprétation et d’articulation des sources historiques. Dans ces conditions, le guarani exclu a de multiples avantages sur “l’intellectuel organique”, engagé dans la perspective de l’autre/exclu, sans réellement partager ses conditions ethniques. Le partage de la vie concrète dépasse l’intelligence solidaire.
La pratique de l’historien n’est pas une pratique neutre, comme tout le monde le sait, ni simplement technique. L’historien est un inventeur et un agent de changement. Comme un sculpteur, l’historien a la possibilité de sculpter des statues très différentes à partir de la “pierre brute” que constituent les sources historiques. L’historiographie plaidoyante, en brossant à rebours l’histoire “officielle”, est intentionnellement une histoire antisystémique. Comme un avocat défendant un “marginal” avec les instruments du système central/dominant, une historiographie plaidoyante peut aussi défendre les “exclus” de l’histoire officielle à l’intérieur des structures et avec les outils du système historiographique dominant.
Pour que l’historiographie solidaire reste fidèle à son objectif, sans double loyauté, elle doit vérifier – et non simplement supposer – en permanence la symétrie de sa pratique et de sa perspective professionnelle avec le projet de vie des autres et exclus.
3 “Histoire” indigène : mémoire et ethno-histoire
L’historiographie solidaire doit se rencontrer avec l’ethnohistoire ; l’avenir historiographique de ces “thèmes émergents” réside dans la capacité à recueillir, accompagner et articuler la multiplicité des faits contradictoires et des projets de vie de notre continent pluriethnique. Une historiographie latino-américaine et caribéenne plaidoyante ne peut pas imiter les modèles évolutionnistes – de l’inférieur au supérieur, du retard au progrès, du nomadisme aux hautes cultures –, ni reproduire les dichotomies figées (préhistoire X histoire ; mythe X rationalité ; temps circulaire X temps linéaire) des Lumières européennes.
Ainsi, quiconque souhaite travailler avec l’ethnohistoire doit ĂŞtre attentif Ă certaines conditions fondamentales. Selon Patrick Menget (1999), au BrĂ©sil, par exemple, au cours des trois dernières dĂ©cennies, la plupart des revendications autochtones ont portĂ© principalement sur la sauvegarde ou la rĂ©cupĂ©ration de territoires d’occupation ancienne ou rĂ©cente. Pour Ă©tablir le fondement de ces revendications, l’État ordonne la rĂ©alisation d’une enquĂŞte sur la durĂ©e de possession des terres par les indigènes, mais les experts sont confrontĂ©s Ă une difficultĂ© inattendue, dans la mesure oĂą leurs interlocuteurs ne disposent pas de repères chronologiques immĂ©diatement transposables Ă notre histoire. Pour les indigènes, l’entrĂ©e dans notre histoire reprĂ©sente, au-delĂ des chocs maintes fois dĂ©crits, la violence d’un dĂ©pouillement de leur passĂ© face aux versions canoniques de l’histoire des conquĂ©rants. Il n’existe aucune possibilitĂ© documentaire d’écrire une “histoire officielle” des indigènes, en premier lieu en raison de l’absence de tĂ©moignages anciens, et surtout parce que les sociĂ©tĂ©s de la forĂŞt ne fondent pas leur raison d’être sur une accumulation orientĂ©e d’évĂ©nements partant d’un point d’origine jusqu’au prĂ©sent, ne stratifient pas leur passĂ© selon l’ordre des successions gĂ©nĂ©alogiques et, de manière gĂ©nĂ©rale, n’organisent pas leurs rĂ©cits du passĂ© selon une chronologie, mĂŞme relative. Dans ces sociĂ©tĂ©s, la relation au passĂ© est traditionnellement très Ă©loignĂ©e de ce que nous appelons “conscience historique”, bien que le dĂ©veloppement et l’intensification des relations avec la sociĂ©tĂ© brĂ©silienne aient suscitĂ© une prise de conscience croissante de l’histoire qui les entoure et de la catĂ©gorisation “ethnique” qui les distingue. Ce que Terence Turner affirme Ă propos des KayapĂł, rĂ©cents protagonistes de conflits fonciers, vaut, Ă divers degrĂ©s, pour l’ensemble des autres peuples de la forĂŞt : “Si, Ă l’origine, ils considĂ©raient leur sociĂ©tĂ© comme une crĂ©ation du temps mythologique, les KayapĂł apprennent Ă se penser comme les agents de leur propre histoire. Cette nouvelle vision ne remplace pas l’ancienne, mais coexiste avec elle (…)” (CUNHA & CASTRO, 1993, p.59).
Quoi qu’il en soit, selon Menget, les caractéristiques fondamentales des sociétés indigènes, par opposition à la plupart des discours liés aux luttes actuelles pour la reconnaissance du droit à l’existence dans l’État-nation moderne, pointent vers une historicité distincte.
S’il est vrai que l’exercice de reconstruction de l’histoire indigène selon les canons de l’histoire documentaire et monumentale constitue une nécessité politique actuelle, et souvent la seule réponse honnête du chercheur à une demande des communautés indigènes, elle reste cependant, dans son essence, une réorganisation d’un maximum d’éléments de la mémoire d’une société selon des références extérieures et une logique qui lui est étrangère, où le cadre chronologique définit, dans et par la durée, le noyau central de l’identité. Appeler “histoire indigène” de tels produits est parfaitement légitime et peut même refléter fidèlement la position de certains leaders et des communautés exclues, mais ne sert qu’à dissimuler la misère si l’on cherche à comprendre la manière propre d’organisation du savoir du passé dans les cultures indigènes.
Il pourrait être tentant, au prix cependant d’une violente simplification, de réduire la mémoire “cosmologique” ou cosmogonique que le rituel actualise et que les mythes répètent inlassablement aux affaires internes du groupe, et la ou les mémoires “historiques”, ou en voie d’historicisation, aux relations avec la société moderne environnante : ce serait figer la mythologie en un corpus inaltérable, une “bible” indigène pieusement écrite par l’ethnohistorien. De même qu’il n’existe, en réalité, pas deux secteurs sans communication dans l’économie mondiale, l’économie narrative ne peut pas non plus séparer les histoires des premiers temps du récit des événements récemment vécus.
Les mythes sont loin d’être immuables, mais se transforment à mesure que les indigènes élargissent le cercle de leurs relations et que l’intensité et la violence du contact avec les Blancs augmentent, redéfinissant ainsi la place et le rôle de ces derniers.
Ainsi, conclut Menget, il est incontestablement nécessaire, pour l’exercice des droits légitimes des indigènes, que les ethnohistoriens leur fournissent les armes pour résister. Mais aujourd’hui, on demande aussi aux indigènes de s’affirmer en réécrivant leur passé, comme si leur survie, après ce qui fut pour eux des siècles de fer et de feu, ne constituait pas déjà la preuve remarquable de leur résilience, de leur résistance et de leur volonté de vivre.
4 Les Afro-descendants et leurs territoires
Pour JosĂ© Oscar Beozzo (1987), la prĂ©sence de populations noires en AmĂ©rique latine et dans les CaraĂŻbes ne constitue pas seulement un fait historique Ă aligner aux cĂ´tĂ©s d’autres, comme la prĂ©sence indigène et la prĂ©sence europĂ©enne. Le transfert forcĂ© de millions d’Africains vers l’AmĂ©rique, sous le rĂ©gime du travail esclavagiste, a confĂ©rĂ© Ă la formation sociale latino-amĂ©ricaine, dans divers domaines, un caractère nouveau, non seulement colonial, mais Ă©galement esclavagiste. Les indigènes ont eux aussi connu le travail forcĂ© et l’esclavage, mais pas de la mĂŞme manière que des sociĂ©tĂ©s entières dans les CaraĂŻbes, dans le sud des États-Unis et au BrĂ©sil, qui ont Ă©tĂ© organisĂ©es autour de l’esclavage africain et en vue de sa perpĂ©tuation et de sa reproduction comme sociĂ©tĂ©s esclavagistes.
Du point de vue d’une Histoire du christianisme, il n’est pas équivalent d’étudier l’annonce évangélique aux populations indigènes — où des missionnaires luttaient pour leur liberté — et l’intégration forcée des Noirs esclaves dans des sociétés qui se disaient chrétiennes, où les autorités ecclésiastiques et même les ordres religieux possédaient et exploitaient des esclaves africains. Pour une Histoire du christianisme en Amérique latine et dans les Caraïbes, il est donc crucial d’ouvrir le débat théorique, méthodologique, mais aussi pratique et pastoral, sur le passé et le présent des populations d’origine africaine et sur leur expérience religieuse au sein des communautés chrétiennes, dans la résistance et la renaissance de leurs cultes, dans le lent tissage des influences mutuelles entre le christianisme et les religions africaines.
L’incorporation de l’horizon indigène — et, dans une moindre mesure, de l’horizon noir — dans la recherche sur l’Histoire de l’Église, ainsi que l’acceptation du fait qu’une religion fortement métissée s’est forgée ici, symbolisée par la Vierge indigène de Guadalupe, la Vierge brune de Luján en Argentine, ou la Vierge noire d’Aparecida au Brésil, ne résolvent pas des questions cruciales telles que le rôle de l’Église dans l’intégration de la main-d’œuvre indigène et africaine dans le processus productif, ou la coexistence, dans le processus d’évangélisation, de la lutte pour la liberté de l’Indien et de l’acceptation de l’esclavage de l’Africain, ou encore la relation entre la domination culturelle blanche et chrétienne et la survie des cultes indigènes et afro-américains.
Ainsi, parallèlement à la renaissance des mouvements noirs dans la société, à l’élan des religions afro-brésiliennes, et à la multiplication des études historiques et sociales sur l’esclavage et sur les Noirs dans la société, une préoccupation pastorale a également ressurgi au sein de l’Église catholique pour ce segment nombreux — et majoritaire dans les secteurs populaires de la population. Elle émane à la fois des Communautés ecclésiales de base (CEBs), en leur sein où l’on a commencé à débattre de la situation religieuse et sociale des Noirs, et des groupes d’APNs (Agents de Pastorale Noirs) organisés dans des paroisses et des diocèses. À l’échelle régionale et nationale, la CNBB (Conférence nationale des évêques du Brésil) a convoqué des rencontres et réunions qui révèlent le chemin nécessaire — mais difficile — de la reconversion de l’Église au Brésil. Une reconversion en direction de ces majorités silencieuses et historiquement opprimées, dans une Église racialement et culturellement européenne dans ses cadres dirigeants et sa mentalité. Malgré cela, ces dernières années, le nombre d’évêques afro-descendants a beaucoup augmenté, et ceux-ci, chaque année, lors de l’Assemblée générale de la CNBB, président et concélèbrent une messe en mémoire du peuple noir.
De plus, nous ne pouvons pas oublier que les afrodescendants, tout comme les indigènes, s’efforcent Ă©galement de sauvegarder leurs territoires traditionnels : les quilombos. Dans les Ă©tudes sur les communautĂ©s quilombolas Ă travers les AmĂ©riques, sur les trois continents, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que, dès leur arrivĂ©e dans le Nouveau Monde, les Africains qui en ont eu la possibilitĂ© ont fui vers l’intĂ©rieur des terres, vers les « sertões », oĂą ils ont commencĂ© Ă cohabiter avec les sociĂ©tĂ©s indigènes qui habitaient les rĂ©gions oĂą ils se sont installĂ©s. Comme l’a discutĂ© Richard Price (1996), ceux qui ont refusĂ© l’esclavage et la perte de leur condition humaine — en Ă©tant traitĂ©s comme la propriĂ©tĂ© de quelqu’un — ont recherchĂ© et trouvĂ© des lieux situĂ©s dans des zones non disputĂ©es ni par les indigènes ni par les colonisateurs. Ainsi, ils ont cherchĂ© Ă construire des barrières structurelles empĂŞchant le contact entre la sociĂ©tĂ© esclavagiste et les groupes formĂ©s, mais qui ne faisaient pas obstacle Ă leurs contacts avec les populations urbaines ou rurales. Les barrières structurelles Ă©taient naturelles, comme les zones marĂ©cageuses ou infestĂ©es de paludisme, les chaĂ®nes de montagnes abruptes, les forĂŞts denses, les grottes et ravins, entre autres environnements similaires. Et les barrières sociales correspondaient Ă des lieux sans valeur Ă©conomique, donc abandonnĂ©s pour diverses raisons, devenant ainsi des « terres de personne ». Il convient de souligner que ce processus initial d’« isolement » s’est transformĂ© en un processus d’« invisibilisation » durant le système esclavagiste, et les quilombos ont fini par s’implanter Ă proximitĂ© des fermes, villages et villes, comme le prĂ©sente Almeida (2002). Mais la barrière structurelle est restĂ©e une stratĂ©gie frĂ©quemment actualisĂ©e.
Avec la fin du système esclavagiste, de nombreux quilombos (ou mocambos, calhambos) ont accueilli un nombre considĂ©rable d’affranchis, permettant la constitution d’autres petits regroupements dans leur entourage, grâce Ă la prĂ©sence de terres publiques inoccupĂ©es (domaniales). De cette manière, les afrodescendants ont constituĂ© les communautĂ©s qui revendiquent aujourd’hui le droit constitutionnel d’être reconnues comme descendantes de quilombos et d’obtenir la rĂ©gularisation foncière de leurs territoires.
Toute cette population afrodescendante, rendue invisible, est restée et continue de lutter pour préserver sa liberté et sa dignité humaine, même cent ans après la fin de l’esclavage.
Sérgio Ricardo Coutinho. IESB. Texte original en portugais.
 5 Références bibliographiques
 ALMEIDA, A. W. B. Les quilombos et les nouvelles ethnies. In: O’DWYER, E. C. (org). Quilombos: identité ethnique et territorialité. Rio de Janeiro : Ed. FGV/ABA, 2002.
BEOZZO, J. O. Les Amériques noires et l’histoire de l’Église : questions méthodologiques. In :
CEHILA (org). Esclavage noir et Histoire de l’Église en Amérique latine et dans les Caraïbes. Petrópolis : Vozes, 1987.
CUNHA, M. C. da ; CASTRO, E. V. (org). Amazonie : ethnologie et histoire indigène. São Paulo : NHI/USP, 1993.
KRANTZ, F. (org). L’autre histoire : idéologie et protestation populaire du XVIIe au XIXe siècle. Rio de Janeiro : Jorge Zahar, 1988.
MENGET, P. Entre mémoire et histoire. In : NOVAES, A. (org). L’Autre Bord de l’Occident. São Paulo : Cia. das Letras, 1999.
PERROT, M. Les exclus de l’histoire : ouvriers, femmes et prisonniers. Rio de Janeiro : Paz e Terra, 1988.
PRICE, R. Palmares tel qu’il aurait pu être. In : REIS, J. J. ; GOMES, F. S. (orgs). Liberté sur le fil. Histoire des quilombos au Brésil. São Paulo : Cia. das Letras, 1996.
SHARPE, J. L’histoire vue d’en bas. In : BURKE, P. (org). L’Écriture de l’Histoire : nouvelles perspectives. São Paulo : UNESP, 1992.
SUESS, P. L’histoire des Autres écrite par nous : notes pour une autocritique de l’historiographie du christianisme en Amérique latine. In : CEHILA (org). Vingt ans de production historiographique de la CEHILA. Bilan critique. In : Bulletin CEHILA, São Paulo, n.47-48, mars 1994.
VAINFAS, R. Les Protagonistes anonymes de l’Histoire : Micro-histoire. Rio de Janeiro : Campus, 2002.
 Pour en savoir plus
 LEÓN-PORTILLA, Miguel. La vision des vaincus, Mexique : Ed. Universidad Nacional Autónoma de México, 2008.
RIVERA CUSICANQUI, Silvia. Opprimés mais non vaincus : Luttes de la paysannerie aymara et qhechwa de Bolivie, 1900-1980. Genève : UNRISD, 1986.
WACHTEL, Nathan. Les vaincus. Les Indiens du Pérou face à la conquête espagnole 1530-1570. Madrid : Alianza Editorial, 1971.