Catholicisme contemporain

Sommaire

1 Révolution française et l’Église catholique

1.1 Révolution inspirée par les Lumières

2 Catholicisme et processus de restauration (1814-1846)

2.1 Restauration, un concept

2.2 Stratégie agressive contre la modernité

3 Catholicisme et lutte contre le libéralisme (1846-1878)

4 Question sociale et catholicisme

4.1 Léon XIII (1878-1903) et la question sociale

4.2 Rerum Novarum (1891)

5 Condamnation du modernisme et réformes interecclésiales

5.1 Contre le modernisme

5.2 Réformes interecclésiales

6 Mouvements de renouveau

7 Catholicisme et les Grandes Guerres

7.1 Période entre les guerres

7.2 Pie XII : pastorale, théologie et la 2ème Guerre mondiale

8 Transition et renouveau, le pape chrétien

8.1 Jean XXIII (1958-1963)

8.2 Vatican II (1962-1965) et sa relation avec la modernité

8.3 Paul VI, réformateur incompris (1963-1978)

9 Le saint critiqué et son successeur

9.1 Jean-Paul II (1978-2005)

9.2 Benoît XVI (2005-2013)

10 Le retour au Christianisme : François

11 Références bibliographiques

1 Révolution française et l’Église catholique

1.1 Révolution inspirée par les Lumières

À la transition des XVIIIe et XIXe siècles, la société européenne entre dans une vaste scène de transformations, impulsée par les révolutions des Lumières (pensée), française (sociale bourgeoise) et industrielle (économique capitaliste). Le siècle des Lumières (XVIIIe siècle) rompt avec le déterminisme religieux, insuffle une force inconditionnelle à l’action critique de la raison, remet en question l’obéissance soumise, organise le savoir en créant des méthodes de recherche, critique l’autorité et le pouvoir. Ses critiques n’épargnent pas l’Église catholique : fossé social entre haut et bas clergé, indifférence face aux difficultés du peuple. La révolution sociale française affecte tout l’Occident, laissant des marques profondes dans le catholicisme. La lutte repose sur les résultats de la société médiévale (clergé, noblesse, artisans) et de la société industrielle (bourgeoisie et travailleurs). La révolution économique provoque des changements dans le système de production, le capitalisme exploite les richesses naturelles, profite des avancées scientifiques, mais le progrès apporte avec lui des conséquences graves pour la société. Parmi elles, l’exploitation humaine : longues journées de travail, exode rural, disparition des artisans, division sociale du travail, concentration urbaine, précarité des conditions de vie, prostitution, alcoolisme, criminalité, épidémies et une multitude de dépossédés.

La Révolution française fut un événement inattendu pour l’Église catholique, conçu dans le berceau des Lumières. Son déroulement fut suivi d’autres révolutions jusqu’à la dictature militaire de Napoléon Bonaparte. Le XIXe siècle débute, pour l’Église, avec un nouveau pontificat, celui de Pie VII (1800-1823). Après plusieurs négociations, le pape signe avec Napoléon le Concordat (1801). Ce document tente de rétablir les relations diplomatiques entre les deux États. Ainsi, l’Église renonce aux biens expropriés et accepte que la rémunération du clergé soit assurée par l’État français. Bonaparte ajoute secrètement au Concordat 77 « articles organiques » qui abolissent partiellement ses conquêtes. La protestation du pape reste sans effet, et Pie VII subit d’autres humiliations de la part de Napoléon, qui en 1808 ordonne l’occupation de Rome et des États pontificaux. Le pape excommunie Napoléon, qui fait de Pie VII un prisonnier à Fontainebleau, le pressant d’abdiquer les États pontificaux. Avec la chute de Napoléon, à la suite de la campagne de Russie (1812) et de la bataille de Leipzig (1813), et l’invasion de Paris par les troupes alliées (1814), la réorganisation de l’Europe peut être entreprise par le Congrès de Vienne (1814-1815).

Au début du XIXe siècle, la papauté semblait traverser l’un des moments les plus difficiles de l’ère moderne. Pie VI était mort (1799) seul et abandonné, prisonnier de la Révolution française. L’épiscopalisme semblait triompher, le système papal et l’infaillibilité étant, selon certains auteurs allemands et français, des questions dépassées et sans importance historique. Aucun autre événement historique n’a autant contribué au triomphe de la papauté au Concile Vatican I (1869-1870) que la Révolution française. Avec Pie VII, la réorganisation de l’Église française (1801) a lieu, et 36 évêques vivant hors de France furent démis de leurs fonctions, démontrant, malgré tout, que la papauté conservait son pouvoir. Ce fut une étape vers l’ultramontanisme.

2 Catholicisme et processus de restauration (1814-1846)

2.1 Restauration, un concept

Avec la fin de la Révolution française et de la période napoléonienne, l’Europe se trouvait dans un état de désordre politique, culturel et religieux total. Il était fondamental, pensaient l’institution religieuse et plusieurs membres de la société, de rétablir l’ordre en restaurant les principes d’autorité, de religion et de morale, tels qu’ils existaient sous l’Ancien Régime.

2.2 Stratégie agressive contre la modernité

Le programme de restauration est évident sous le pontificat du pape Léon XII (1823-1829). Sa préoccupation était de récupérer tout ce que la sécularisation et la révolution avaient détruit. L’intention n’a jamais été d’adapter l’Église aux exigences des temps nouveaux, mais de la restaurer à ses états antérieurs. Son successeur, Pie VIII (1829-1830), n’avait pas d’objectifs différents. Son action était de défendre l’Église et la foi catholique, de se protéger contre les erreurs de ces doctrines, selon lui mensongères et pernicieuses, qui attaquaient la foi. L’éducation devait être entre les mains de la religion catholique. Il était évident que ce pontificat serait une période de transition. Le grand bouleversement viendrait avec son successeur.

La réaction agressive de l’institution catholique contre la modernité ne tarda pas. Grégoire XVI (1831-1846), le nouveau pape, mena un pontificat en accord avec la ligne programmatique de la situation culturelle et politique de son temps. La culture était dominée par les Lumières, l’anticléricalisme, la franc-maçonnerie et des éléments antireligieux, tandis que la politique officielle favorisait la restauration. Dans ce contexte, le pape publie l’encyclique Mirari vos (1832). Parmi les thèmes abordés avec des termes très sévères figurent deux sources du mal : la liberté de la presse et l’indifférentisme religieux. Dans la mentalité de la chrétienté médiévale et de la société parfaite qui prévalaient, le pape ne perçoit aucun signe positif en son temps et ne reconnaît pas non plus les situations préoccupantes internes à l’institution religieuse nécessitant transformation. L’idée de renouveau de l’Église est rejetée, considérée comme un outrage. Il condamne les chemins de fer, les ponts, l’électricité. Tout cela est signe de modernité et donc d’erreurs à condamner. Le modèle d’Église de la chrétienté prévaudra tout au long du XIXe siècle.

Un aspect significatif de cette période fut la vitalité de l’action missionnaire de l’Église à travers de nombreuses communautés religieuses et un intéressant épanouissement de nouvelles congrégations, surtout dans les domaines de l’éducation, des soins aux malades et de l’engagement missionnaire. Les contradictions de l’histoire se poursuivent tout au long du XIXe siècle. Si, d’un côté, un segment de l’institution mène un combat contre la modernité, d’autres secteurs vivent une fièvre missionnaire, fondant des congrégations exclusivement dédiées aux missions, ainsi qu’à la préparation des futures Églises locales.

3 Catholicisme et lutte contre le libéralisme (1846-1878)

La fin du pontificat de Grégoire XVI fut vécue comme une libération pour les Romains. Le pape et son secrétaire d’État, le cardinal Lambruschini, n’étaient pas appréciés, et leur gouvernement était considéré comme tyrannique et obscurantiste. Tous espéraient un nouveau pape capable d’affronter, de manière diplomatique, la situation sociale et politique. Élu Pie IX (1846-1878), les libéraux et les démocrates ont d’abord construit l’image d’un pape libéral, bien qu’il ait ensuite été accusé d’ennemi de la liberté de conscience et de culte, et de promouvoir une Église hostile à la société moderne. Il défendait l’indépendance totale du pape et de l’Église vis-à-vis de l’État, s’opposant fermement au gallicanisme. Si, d’un côté, les anticléricaux devinrent de grands ennemis du pape, surtout à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, d’un autre côté, les ultramontains le vénéraient à tel point qu’ils lui attribuaient le titre de « Grand ». Trois événements majeurs marquent son pontificat : la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (1854) ; la publication de l’encyclique Quanta Cura et de son annexe Syllabus (1864) ; et le Concile Vatican I (1869-1870).

Pie IX n’acceptait pas le régime constitutionnel, non seulement parce qu’il le jugeait inadapté à l’Église, mais aussi parce qu’il le considérait mauvais en soi. Son aversion envers les catholiques libéraux était immense. L’apogée de sa politique antilibérale se manifeste dans la publication de Quanta Cura et du Syllabus. L’encyclique visait à dénoncer les « erreurs modernes » mettant en péril la foi de l’Église et à affirmer son dépassement en réaffirmant l’autorité de l’Église, fondée sur l’autorité divine. Ces erreurs, issues des philosophies modernes comme expressions d’un nouvel esprit, déforment la conscience humaine et ecclésiale. Les valeurs morales et le caractère sacré de la société contemporaine se sont perdus. Les erreurs modernes mises en évidence sont le naturalisme et le panthéisme, le libéralisme, le communisme et le socialisme, ainsi que la séparation entre l’Église et l’État. L’annexe à l’encyclique, le Syllabus, est une liste de 80 erreurs de la modernité déjà exposées et condamnées dans des documents antérieurs. Le document est publié dans un contexte de division parmi les catholiques. Outre les raisons sociales justifiant l’énumération de ces erreurs, le pape critique également les catholiques ouverts au dialogue avec la société moderne – démocrates, progressistes, constitutionnalistes. En revanche, les papistes, traditionalistes et ultramontains, vénéraient excessivement le passé.

Les critiques de Pie IX visaient à sauvegarder la foi de l’Église et son autorité dans la société moderne. Son apologie, incluant le dogme de l’Immaculée Conception, mettait en valeur la position de l’Église consistant à se défendre face à la modernité et à affirmer son identité, construite lors du Concile de Trente (1545-1563). Ces critiques ont également permis de souligner les excès aussi bien des défenseurs que des opposants à la modernité. Cette apologie a instauré un climat propice à la recherche d’un équilibre dans la relation entre Église et État, foi et raison.

Lors de la fête de l’Immaculée Conception de 1869, s’ouvrit le Concile Vatican I, organisé avec pour objectif principal de compléter et de confirmer l’exposition doctrinale antérieure contre le rationalisme théorique et pratique du XIXe siècle. Deux constitutions furent approuvées : l’une sur la foi catholique et l’autre sur le rôle du Pontife Romain et son autorité doctrinale. En juillet 1870, la guerre franco-prussienne obligea à suspendre Vatican I, qui ne fut jamais réouvert. En 1870 également, les États pontificaux furent officiellement annexés au territoire italien, ce qui entraîna une situation conflictuelle : le pape excommunia le roi Victor-Emmanuel et se réfugia dans sa résidence du Quirinal. Pie IX interdisait aux Italiens de se présenter ou de voter aux élections. Cette situation dura plus de trente ans. Ce fut le début de la Question romaine (1870-1929).

Malgré les polémiques historiographiques, le pape Jean-Paul II demanda la poursuite du processus de béatification de Pie IX, qui eut lieu, en même temps que celle du pape Jean XXIII, le 3 septembre 2000.

4 Question sociale et catholicisme

4.1 Léon XIII (1878-1903) et la question sociale

Ce pontificat a su atteindre un prestige jamais obtenu auparavant. La conjoncture de la fin du XIXe siècle coïncide avec un ensemble de changements radicaux dans les domaines politique, économique, social et scientifique. En 1892, le pape oriente les Français à accepter la République, ce qui signifie, pour le monde catholique, la fin de la chrétienté. Son magistère aborda divers sujets de grande importance dans ce contexte, allant de la vie religieuse à la vie sociale. La société était divisée par le conflit entre le capital et le travail : voilà la question sociale. Cette préoccupation sociale avait commencé dans la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque divers pays ont vu naître des associations et cercles en faveur des ouvriers. Léon XIII publiera un document emblématique qui traitera de manière objective de la question ouvrière et sociale : l’encyclique Rerum Novarum.

4.2 Rerum Novarum (1891)

L’encyclique a conféré à l’Église catholique une sorte de lettre de citoyenneté. Sans aucun doute, cette encyclique représente pour l’action sociale chrétienne ce que le « Manifeste du Parti Communiste » et « Le Capital » de Karl Marx ont représenté pour l’action socialiste. Le document traite de la question ouvrière, contenant les principes fondamentaux de la Doctrine sociale de l’Église, qui seront repris, approfondis et appliqués dans des documents et déclarations successifs du Magistère. C’est le premier texte du magistère ecclésiastique à étudier sérieusement le problème social causé par l’industrialisation. Ce texte condamne à la fois le libéralisme et le socialisme, reconnaît le droit naturel à la propriété et souligne sa valeur sociale, attribue à l’État le rôle de promoteur du bien commun, de la prospérité publique et privée, dépassant ainsi l’absolutisme social de l’État libéral, et reconnaît au travailleur le droit à un salaire juste. Il condamne la lutte des classes et accepte le droit des ouvriers à s’associer pour défendre leurs intérêts.

L’encyclique a été publiée 44 ans après l’apparition du « Manifeste » de Marx, et elle n’a apparemment pas eu un impact significatif sur le mouvement d’émancipation des ouvriers. Elle utilise souvent un langage abstrait, sans analyser la situation réelle engendrée par le capitalisme, et ne propose pas non plus une analyse structurelle des causes de la misère de la classe ouvrière. Malgré ces lacunes et d’autres, le document représente une posture importante dans l’histoire de l’Église catholique.

Ces changements dans l’attitude de l’Église ont également engendré des difficultés : nombreuses furent les personnes qui demandèrent la conversion de Léon XIII, le jugeant acquis aux thèses marxistes. L’autre face de la médaille est qu’un mouvement appelé démocratie chrétienne est né dans des pays comme la France, la Belgique et l’Italie, unissant aspirations apostoliques, volonté de réformes sociales et une préoccupation politique, pas toujours claire, mais favorable à la démocratie.

5 Condamnation du modernisme et réformes interecclésiales

5.1 Contre le modernisme

Le modernisme et la crise qu’il engendra commencèrent sous Léon XIII, mais atteignirent leur point culminant sous le pontificat de Pie X (1903-1914). Ce mouvement émerge dans un environnement universitaire libéral. Il développe une pensée consistant à appliquer les méthodes modernes de recherche scientifique à la théologie. L’objectif était d’ouvrir le christianisme aux exigences philosophiques et historiques de la société contemporaine. Une tentative d’accueil de la pensée moderniste fut réalisée dans l’œuvre philosophique de Maurice Blondel, L’Action (1893).

Les idées du modernisme ont été appliquées à la théologie et à l’Écriture Sainte. Les propositions développées dans le champ ecclésiologique tendaient à réduire l’Église à une forme démocratique. Le modernisme fut une tentative de concilier l’Église catholique avec les résultats obtenus par la critique historique. En ce sens, l’Église n’est pas hiérarchie, mais issue de la conscience collective, née non de la volonté divine, mais d’un besoin. Engendrée de bas en haut. Les propositions modernistes furent censurées par l’Église, mais reçurent un certain écho à mesure qu’elles s’éloignaient du projet de chrétienté. Certaines œuvres de représentants du modernisme furent placées à l’Index. Certains se réconcilièrent avec l’Église, d’autres furent excommuniés. Deux figures importantes furent le prêtre français Alfred Loisy (1857-1940) et le jésuite anglais George Tyrrell (1861-1909). Le premier, excommunié, interprétait la prédication de Jésus dans un sens eschatologique ; il niait l’immuabilité et la valeur objective des dogmes, réduisait l’autorité ecclésiastique et prônait une séparation totale entre foi et histoire. Le second affirmait qu’il était possible de rester dans le catholicisme à condition de distinguer entre la foi vivante et la théologie morte, entre l’Église réelle et l’autorité qui la gouverne. Il fut expulsé de la Compagnie de Jésus et ne fut accepté dans aucun diocèse. Plus tard, il fut privé des sacrements, sans être formellement excommunié.

Par l’encyclique Pascendi Dominici Gregis et le décret Lamentabili (1907), Pie X condamna fermement le modernisme, réprimant la réconciliation de la doctrine chrétienne avec la science et la connaissance modernes. Une véritable chasse à l’hérésie des théologiens réformistes fut engagée, notamment contre les exégètes et les historiens. Les œuvres de Lagrange, Funk, Delehaye, Duchesne furent exclues de l’enseignement. En 1910, un serment antimoderniste fut imposé aux professeurs de séminaires. Des visites apostoliques furent menées dans les séminaires italiens, donnant parfois lieu à des rapports sévères de la part des visiteurs. L’un des évalués fut Angelo Roncalli, futur Jean XXIII.

5.2 Réformes interecclésiales

Le pape Sarto fut l’un des grands réformateurs de l’Église. C’est à son initiative qu’eut lieu l’organisation législative de l’Église par le biais du Code de droit canonique. Sa version finale fut présentée en 1917, sous le pontificat de Benoît XV. D’autres réformes concernèrent le catéchisme et la liturgie. Il organisa un catéchisme de la doctrine chrétienne. En matière liturgique, il publia des documents sur la musique sacrée (restauration du chant grégorien), le bréviaire (harmonisation du bréviaire avec l’année liturgique) et sur l’eucharistie (communion fréquente et âge pour la première communion). Pie X fut canonisé par Pie XII en 1954.

6 Mouvements de renouveau

Les mouvements biblique, liturgique et œcuménique furent les portes d’entrée du sujet moderne dans l’Église. Ils émergèrent au XIXe siècle et prirent leur essor au XXe. Les prémices du Concile Vatican II trouvent également leur origine dans ces mouvements. Le mouvement œcuménique, par exemple, naquit en dehors de l’Église catholique. À Édimbourg (Écosse), en 1910, des missionnaires protestants organisèrent une conférence pour étudier les possibilités et les moyens d’union en vue d’une évangélisation chrétienne unifiée. Ainsi naquit le mouvement œcuménique. En 1960, sous le pontificat de Jean XXIII, fut créé le Secrétariat pour l’unité des chrétiens, présidé par le cardinal jésuite allemand Augustin Bea. Ce mouvement, né dans le monde protestant pour des raisons missionnaires, prit de l’ampleur dans l’Église catholique à mesure que les théologiens y adhérèrent.

7 Catholicisme et les Grandes Guerres

Dans une perspective intermédiaire mais cruciale pour la compréhension de la modernité, le pontificat de Benoît XV (1914-1922) se distingue. Le pape tenta une médiation pendant la Première Guerre mondiale, sans succès. Le chaos global de la guerre (1914-1918) mit en évidence la crise des valeurs fondamentales de la modernité : la foi excessive dans la raison, le progrès, la nation et l’industrie. La confiance totale dans la raison, le progrès, le nationalisme, le capitalisme et le socialisme s’était effondrée. L’Europe payait un lourd tribut avec les mouvements réactionnaires du fascisme, du nazisme et du communisme. Ces mouvements, dans une logique moderne, idéalisèrent la race, la classe, et leurs chefs empêchèrent l’émergence d’un nouvel ordre mondial meilleur.

La Première Guerre mondiale a déclenché une révolution mondiale qui deviendra explicite après la Seconde Guerre : le changement de paradigme de la modernité eurocentrique, marqué par le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme. Le nouveau paradigme, en cours de développement, celui de la postmodernité, se caractérise par sa dimension globale, polycentrique et une orientation œcuménique. L’Église catholique n’a reconnu cela que partiellement, et avec un certain retard.

7.1 Période entre les deux guerres

Le sens du pontificat de Pie XI (1922-1939), entre les deux guerres, doit être compris à la lumière des événements politiques de son époque : une humanité opprimée par les totalitarismes issus de la société de masse, de profondes divergences idéologiques qui, en particulier lors de la guerre civile, ont conduit à l’hostilité et à la persécution des valeurs chrétiennes et de l’Église. Ce pontificat se déroule dans un contexte dramatique marqué par des événements majeurs du monde contemporain : fascisme, nazisme et totalitarisme stalinien. Ce contexte justifie en partie sa politique concordataire, notamment en Italie avec les Accords du Latran (1929). Le développement de ses actions est illustré par ses encycliques : Non abbiamo bisogno (1931), Quadragesimo anno (1931), Mit brennender Sorge (1937), et la condamnation du communisme athée dans Divini Redemptoris (1937).

L’Action catholique (mouvement de laïcs), organisée sous ce pontificat, constitue la base de la préparation du Concile Vatican II. Malgré cette intention initiale, les laïcs de l’Action catholique intégrèrent les milieux scolaires (JEC), universitaires (JUC), ouvriers (JOC, ACO), ruraux (JAC) et indépendants (JIC), apportant dans l’Église les problématiques et réflexions modernes issues de ces contextes. Cet engagement du laïcat dans le monde, impliqué politiquement, entraîna une plus grande participation dans l’Église, nécessitant une formation spirituelle et théologique accrue. C’est dans ce contexte que le laïcat fut confronté aux défis de la modernité. Les grands penseurs Yves Congar, Jacques Maritain et Emmanuel Mounier développèrent des réflexions théologiques sur la présence du laïc chrétien dans l’Église et dans le monde. Toute cette dynamique était imprégnée des signes de la modernité.

Face aux mesures fascistes adoptées en Italie en juin 1938, et à l’aggravation de la question juive en Allemagne, Pie XI confia au jésuite américain John La Farge la tâche de rédiger un texte sur l’unité du genre humain, visant à condamner le racisme et l’antisémitisme. L’ébauche du texte ne parvint au pape qu’à la fin de 1938. Déjà malade, il mourut peu après, et l’encyclique ne fut jamais publiée. Au Brésil, l’encyclique (accompagnée d’un long commentaire) fut publiée par les éditions Vozes sous le titre « L’encyclique cachée de Pie XI ».

7.2 Pie XII : pastorale, théologie et la Seconde Guerre mondiale

Pie XII (1939-1958) relança le projet d’une civilisation chrétienne. Eugenio Pacelli, ancien nonce à Munich, eut un pontificat marqué par les extrêmes. Cela s’explique par le contraste frappant entre sa personne et son orientation, et celles de son successeur Jean XXIII (le pape du siècle). Il incarnait le pape dans toute sa dignité et sa supériorité. Il hérita de son prédécesseur une Église fortement centralisée. Les activités de ce pape prirent une autre tonalité notamment en raison de ses relations avec l’Allemagne et le nazisme. À ce sujet, son pontificat fut vivement critiqué par certains, pour son silence public sur la question juive et la Shoah, tandis que d’autres le défendirent, affirmant qu’il agissait dans les limites de ses moyens, par voie diplomatique.

Le magistère de Pie XII peut être compris à travers ses messages, discours et encycliques. Son pontificat est considéré comme le dernier de l’ère anti-moderne médiévale. Il manifesta plusieurs traits autoritaires : il rejeta les doctrines évolutionnistes, existentialistes, historicistes, et leurs influences sur la théologie catholique furent considérables, entraînant des censures à l’égard de chercheurs comme Maritain, Congar, Chenu, De Lubac, Mazzolari, Milani et les prêtres ouvriers français.

La situation mondiale, ainsi que l’intérieur de l’Église à bien des égards, respirait un désir de renouveau. Pie XII considérait favorablement les réformes, mais son attitude tendait à une prudence excessive. Son inquiétude croissante face à une Église immergée dans un monde agité et en tension révolutionnaire explique en partie pourquoi il centralisa progressivement le gouvernement entre ses mains. Eugenio Pacelli voyait dans l’exposition de la doctrine de l’Église face aux nombreux problèmes du monde moderne sa mission la plus importante. Il publia un grand nombre d’encycliques. Les principales furent Mystici Corporis (1950) et Humani Generis (1950). La première traite de l’identité et de l’organisation de l’Église, avec une opposition franche à la nouvelle théologie. La seconde expose la position du pontife à l’égard de la théorie moderne de l’évolution, rejetant certaines hypothèses de l’école de Teilhard de Chardin (sans en citer les noms). Il accorda également une attention particulière à la question mariale. En 1950, il proclama le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie.

8 Transition et renouveau, le pape chrétien

8.1 Jean XXIII (1958-1963)

Le pontificat de Jean XXIII se caractérisa par une ecclésiologie prophétique et une pastorale en continuité avec la tradition de l’Église. Ses premiers gestes pastoraux indiquaient une nouvelle orientation pour l’Église. En 1959, il annonça trois événements ecclésiaux : le Synode diocésain de Rome, la révision du Code de droit canonique et un Concile, le Vatican II. Son pontificat d’aggiornamento marqua un tournant, grâce à son intuition de convoquer le Concile.

Angelo Giuseppe Roncalli naquit dans le village de Sotto il Monte, dans la province de Bergame, en Italie, le 25 novembre 1881, au sein d’une famille pauvre de paysans. Le jeune Roncalli fit ses deux premières années de théologie au séminaire de Bergame, et fut admis en 1896 dans l’ordre franciscain séculier, où il prononça ses vœux en mai 1897. Grâce à une bourse d’études accordée par son diocèse, il intégra le Séminaire Pontifical Romain, où il fut ordonné prêtre en août 1904 à Rome. En 1905, il fut nommé secrétaire de l’évêque de Bergame, Mgr Giacomo Radini Tedeschi, ce qui lui permit de faire de nombreux voyages, visites pastorales et de collaborer à diverses initiatives apostoliques telles que des synodes, la rédaction du bulletin diocésain et des œuvres sociales. Il collabora également au journal catholique du diocèse de Bergame et fut assistant de l’Action catholique féminine. En tant que professeur au séminaire diocésain, il approfondit ses études sur trois prédicateurs catholiques : saint François de Sales, saint Grégoire Barbarigo (alors bienheureux, canonisé plus tard par Roncalli en 1960) et saint Charles Borromée, dont il publia les actes des visites pastorales réalisées dans le diocèse de Bergame en 1575. Après la mort de son évêque en 1914, dont il avait été le secrétaire, le père Roncalli poursuivit son ministère sacerdotal dans le diocèse, où il pensait rester.

En 1915, Roncalli partit à la guerre pour défendre son pays, ayant accompli une année de service militaire pendant son séminaire à Rome. Il fut mobilisé comme sergent sanitaire, puis nommé aumônier militaire pour les soldats blessés revenant du front, lorsque l’Italie, après le Traité de Londres du 26 avril 1915, renonça à l’accord avec la Triple Alliance et entra en guerre.

La seconde phase de sa vie commença en 1921, lorsqu’il fut convoqué par le pape Benoît XV (1914-1922) pour intégrer le Conseil des Œuvres Pontificales pour la Propagation de la Foi, dont il devint président. Cette mission l’obligea à parcourir de nombreux diocèses italiens pour organiser des cercles missionnaires. Cette période romaine et la vie apparemment paisible de prêtre ne durèrent pas. Sous le pontificat de Pie XI (1922-1938), le prêtre du petit village de Sotto il Monte fut élevé à l’épiscopat en 1925 et nommé Visiteur Apostolique en Bulgarie. En 1934, il fut nommé Délégué Apostolique en Turquie et en Grèce, tout en étant administrateur du Vicariat Apostolique d’Istanbul, où il se distingua par son dialogue avec les musulmans et les orthodoxes.

En 1944, Pie XII nomma Roncalli Nonce Apostolique à Paris. Sa nomination fut directement influencée par le pro-secrétaire d’État, Mgr Montini. À cinquante-trois ans, Roncalli fut créé cardinal et, deux ans plus tard, patriarche de Venise. À soixante-dix-sept ans, il entra en conclave et fut élu pape sous le nom de Jean XXIII. Son encyclique Pacem in Terris (1963) fut le dernier acte d’un pontificat bref, mais intense, dynamique et incisif.

La mort du pape, survenue le 3 juin 1963 – jour de la Pentecôte – fut reçue avec une grande émotion dans de nombreuses parties du monde catholique. Ce fut un moment impressionnant, différent d’autres époques, où des hommes et des femmes de tous les pays et de toutes les religions pleurèrent sa disparition. Jean XXIII a été canonisé en avril 2014 par le pape François.

8.2 Vatican II (1962-1965) et sa relation avec la modernité

Le 11 octobre 1962, Jean XXIII ouvrit la première session du Concile. Le discours d’ouverture (Gaudet Mater Ecclesia) est d’une importance fondamentale et exerça une profonde influence sur la rédaction de tous les documents conciliaires. Trois points méritent d’être soulignés. Premièrement, le pape s’adresse aux prophètes de malheur, qui ne voient dans le monde moderne que déclin et catastrophes, se comportant comme s’ils n’avaient rien appris de l’histoire. Deuxièmement, le point central du Concile : il ne s’agira pas simplement de discuter tel ou tel article de la doctrine fondamentale de l’Église, en répétant et proclamant l’enseignement des Pères et des théologiens anciens et modernes, car cela est supposé déjà connu et bien intégré. Pour cela, un Concile ne serait pas nécessaire. Il s’agit d’une adhésion renouvelée, sereine et tranquille, à tout l’enseignement de l’Église. Troisièmement, bien que l’Église se soit toujours opposée aux erreurs et les ait souvent condamnées avec sévérité, elle souhaite aujourd’hui, à travers le Concile, se montrer comme une mère aimante pour tous, bienveillante, patiente et pleine de miséricorde envers ses enfants éloignés.

Le Concile Vatican II a promulgué seize constitutions, décrets et déclarations. Il existe un consensus pour considérer que la constitution dogmatique Lumen Gentium et la constitution pastorale Gaudium et Spes constituent l’axe central du Concile. L’Église a eu le courage de regarder son passé, de réfléchir et d’établir une relation nouvelle avec le présent. Le dialogue initié, et tous les fruits qu’il a portés, se poursuivent encore aujourd’hui.

L’événement conciliaire fut conduit par deux grandes personnalités : Jean XXIII, qui mourut après la première session du Concile à l’âge de 82 ans, et Paul VI (1963-1978), son successeur. Montini (Paul VI – béatifié en 2014 par le pape François) prit très au sérieux sa grande mission de poursuivre le Concile, bien qu’avec une tonalité différente. Roncalli (Jean XXIII) était un pasteur, tandis que Montini était une figure de la Curie. En ce sens, l’analyse de l’après-Concile mérite une réflexion sur les avancées et les reculs internes à l’événement conciliaire lui-même. Malgré les concessions faites en matière de réforme liturgique, de renouveau de l’Église catholique et de dialogue œcuménique avec les autres Églises chrétiennes, souhaités par Jean XXIII, le Concile n’a pas connu un véritable élan de transformation, mais plutôt une stabilisation. Historiquement, il était encore trop tôt, malgré la fenêtre ouverte, pour percevoir dans la vie quotidienne des changements radicaux : ouvrir les fenêtres, les portes, dépoussiérer les meubles et, surtout, les intérieurs. C’était déjà un grand pas vers le dialogue avec la modernité. Parfois, ce dialogue est redevenu un monologue.

8.3 Paul VI, réformateur incompris (1963-1978)

Le pape Paul VI, Giovanni Battista Montini, est né à Concesio, près de Brescia, en 1897. Issu d’une famille aisée, sa mère, très pieuse, était présidente de l’Action catholique féminine de Brescia ; son père, docteur en droit, écrivain et fondateur du journal “Il cittadino di Brescia”, fut président de l’Union électorale catholique de Brescia et député au parlement pour le Parti Populaire, dont il fut l’un des fondateurs. Ordonné prêtre en 1920, Montini étudia le droit ecclésiastique à l’Université Grégorienne de Rome et, après un examen d’entrée, fut brièvement professeur.

Après ses travaux à la Secrétairerie d’État du Saint-Siège, Montini fut nommé archevêque de Milan. Durant son épiscopat à Milan (1955-1963), il se rapprocha des ouvriers et des revendications de la gauche active dans son archidiocèse, sans pour autant oublier ceux qui étaient éloignés de l’Église. L’un des événements les plus importants qu’il organisa à Milan fut la Mission de Milan (5-24 novembre 1957). Il s’agissait d’un immense travail pastoral qui mobilisa toute la ville. Préparée pendant deux ans, elle impliqua 500 agents pastoraux, deux cardinaux, 24 évêques, et donna lieu à sept mille interventions et conférences dans les églises, usines, institutions culturelles. Le thème central de toutes les prédications était Dieu le Père. L’archevêque Montini participa directement à ces activités par la radio, des écrits et des conférences. Il chercha à implanter une réforme pastorale favorisant le renouveau de la liturgie et encourageant la construction de nouvelles églises. Il consacra 72 églises durant son séjour à Milan. Au moment de son élection pontificale, 19 autres églises étaient en construction.

Le lendemain de son élection, Paul VI annonça, par un message radiophonique, son intention de poursuivre le Concile. Il coordonna les trois sessions suivantes du Concile Vatican II.

En provenance d’Amérique latine, le pape reçut des dénonciations sur la situation dégradante des populations appauvries, vivant dans la misère et, pour une grande partie, sous des régimes dictatoriaux néfastes, soutenus par le capitalisme “démocratique” américain. Le pape ne resta pas insensible à cette réalité et publia l’encyclique Populorum Progressio (1967), qui suscita un grand débat tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église, notamment parmi les conservateurs de la Curie qui considéraient que le pape avait franchi les limites avec des positions jugées trop à gauche, comme lorsqu’il remettait en question la suprématie de la propriété privée au détriment des droits collectifs.

Le pape publia d’autres encycliques, mais celle qui provoqua le plus de débats fut Humanae Vitae (1968). Cette encyclique abordait un sujet hautement complexe pour la société : le contrôle des naissances. Jamais une encyclique n’avait suscité autant de controverses, tant internes qu’externes. Le texte traite de la sexualité humaine. Il y est affirmé que la sexualité ne doit pas être perçue comme un plaisir animal. L’incompréhension du document réside surtout dans une lecture réductrice, focalisée sur l’interdiction de la pilule contraceptive, ignorant une autre partie hautement positive : la fonction créatrice de la sexualité, non seulement biologique, mais aussi personnaliste.

À Jérusalem (1964), il étreignit le patriarche Athénagoras dans un geste d’ouverture au dialogue entre tous les chrétiens. Au Congrès eucharistique de Bombay (Inde – 1964), il rencontra les fidèles catholiques. Il s’adressa à l’ONU (1965) devant 117 délégués de divers pays, marquant ainsi le dialogue avec la société. Il célébra une messe à Fatima, au Portugal, en 1967, pour le cinquantième anniversaire des apparitions de Marie aux petits bergers. Au Congrès eucharistique de Bogotá (1968), il ouvrit la IIe Conférence de l’Épiscopat latino-américain à Medellín, rencontre avec les pauvres du Tiers-Monde de l’époque. Lors de la prière œcuménique au Congrès œcuménique des Églises à Genève (1969), il embrassa tous les frères chrétiens des autres confessions.

La question de la collégialité fut pour Paul VI essentielle, car elle était liée à une autre préoccupation majeure : l’œcuménisme. À ces questions internes s’ajoute une autre, d’une importance toujours actuelle et avec laquelle l’institution religieuse peine encore à dialoguer : le dialogue avec la société. Pour aborder ces thèmes traités lors de Vatican II, le pape était conscient qu’au sein de l’institution deux pôles opposés étaient en conflit : nouveauté et tradition, vérité et charité, historicité et permanence, autorité et liberté, pouvoir et fraternité, supériorité et humilité, séparation du monde et unité avec le monde. Paul VI savait qu’il devait concilier ces binômes. Il est également important de souligner que ce pontificat débuta pendant une période conciliaire et connut une continuité difficile durant les premières années de l’après-Concile.

Paul VI est décédé le 6 août 1978 à Castel Gandolfo, à l’âge de 81 ans. Il fut inhumé dans la crypte de la basilique Saint-Pierre, dans une tombe modeste, comme il l’avait lui-même demandé dans son testament.

9 Le saint critiqué et son continuateur

9.1 Jean-Paul II (1978-2005)

Karol Wojtyla, le pape Jean-Paul II, élu en 1978 après la mort soudaine de Jean-Paul Ier, dont le pontificat dura seulement 33 jours, hérita de l’héritage spirituel laissé par Paul VI et de l’esprit pastoral du Concile Vatican II. Son long pontificat (1978-2005) est marqué par divers facteurs, dont l’un est de nature religieuse. Pour renforcer ce caractère religieux, le pape proposa une Nouvelle Évangélisation. Il écrivit 14 encycliques (dont 3 sociales) ainsi que d’autres documents et catéchèses. Le Code de droit canonique (1983) et le Catéchisme de l’Église catholique furent l’apogée d’un processus amorcé et enrichi durant ce pontificat. Il formula de vives critiques à l’égard du système totalitaire communiste et du capitalisme. Il encouragea l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Il visita 114 pays, rassemblant des foules. Le Jubilé de l’an 2000 fut une célébration grandiose et un élan pour la nouvelle évangélisation.

Le pontificat de Wojtyla fut également critiqué, notamment par le jésuite brésilien João Batista Libânio (2005), à propos du Code et du Catéchisme, soulignant l’absence de ponts assurant la continuité avec Vatican II. Divers théologiens exprimèrent leurs réserves concernant le Synode extraordinaire de 1985, convoqué pour évaluer Vatican II, mais perçu comme un retour à l’époque préconciliaire. Jean-Paul II fut critiqué, malgré son affirmation de la collégialité, pour sa centralisation du pouvoir, fondée sur la Curie romaine, avec une ecclésiologie hiérarchique qui empêchait la réalisation de l’Église comme Peuple de Dieu. Les restrictions imposées aux femmes dans divers ministères et la condamnation de nombreux théologiens furent également contestées. Un certain autoritarisme et cléricalisme réapparurent durant ce pontificat, à l’opposé des orientations du Concile.

Le pape dut faire face à de nombreuses souffrances personnelles liées à sa santé, notamment un attentat en 1981 sur la place Saint-Pierre. Sa santé connut de nombreuses périodes de fragilité, provoquant une grande compassion des fidèles dans les dernières années de son pontificat. Une foule immense suivit ses obsèques à Rome, réclamant sa canonisation immédiate. Il fut canonisé en 2014, en même temps que Jean XXIII.

9.2 Benoît XVI (2005-2013)

Le successeur de Jean-Paul II fut son bras droit à la Curie romaine, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal allemand Joseph Ratzinger. Le choix effectué par le conclave fut accueilli avec de nombreuses réserves dans divers milieux ecclésiastiques. Il affronta de nombreuses difficultés et restera dans l’histoire comme le pape théologien et celui qui renonça.

Le 11 février 2013, au Vatican, dans la salle du Consistoire, Benoît XVI présida un consistoire public pour la canonisation de bienheureux. Ensuite, il lut une brève déclaration en latin, signée et datée de la veille, dans laquelle il annonçait sa décision de renoncer au pontificat pour des raisons d’âge, précisant que le Siège de Pierre serait vacant à partir de 20 heures le 28 février. Cette déclaration de 22 lignes allait marquer un tournant dans l’histoire de l’Église. Sa renonciation est un geste d’une grande portée, qui deviendra révolutionnaire. Benoît XVI fit entrer la papauté dans l’ère moderne.

Son pontificat fut extrêmement difficile. Chargé d’obstacles, d’attaques, de crises, de scandales (pédophilie) et de tensions dans le gouvernement de la Curie romaine, de carriérisme, de luttes internes. Ses quelques années de pontificat furent aussi marquées par d’autres controverses : relations avec les évêques lefebvristes ; autorisation de la messe en latin par le Motu Proprio Summorum Pontificum (2007), ravivant la prière pour la conversion des juifs ; débats sur les herméneutiques de Vatican II ; discours de Ratisbonne (Allemagne, 2006) ; affaire Richard Williamson, de la Fraternité Saint-Pie X, excommunié par Jean-Paul II et réhabilité par le pape Ratzinger ; notifications de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à plusieurs théologiens. Parmi eux : Roger Haight, Jon Sobrino, Jacques Dupuis, Peter Phan, Torres Queiruga, José Antonio Pagola.

Certains projets initiés par Benoît XVI furent interrompus, allant de la « réforme de la réforme » de la liturgie à la relation avec les lefebvristes, en passant par le dialogue œcuménique. L’affaire Vatileaks, survenue durant la dernière année de son pontificat, révéla une réalité complexe, qui ne se limitait certainement pas à la trahison de son majordome, Paolo Gabriele, qui avait transmis des documents confidentiels à des tiers non autorisés, lesquels furent ensuite publiés. C’est dans ce contexte que le pape Benoît XVI renonce et, en même temps, qu’est élu Jorge Mario Bergoglio, le pape François. Son élection (2013) semble évoquer cette vision vieille de huit siècles : « Va, François, et répare mon Église en ruines ». Sa mission, confiée par les cardinaux électeurs, est de restaurer l’image ternie de l’Église.

10 Le retour au Christianisme : François

Élu en 2013, François est le premier pape jésuite et latino-américain (Argentine) en vingt siècles d’histoire de l’Église catholique. Son nom constitue un programme de pontificat : proximité avec les pauvres et engagement pour la rénovation de l’Église. Le cardinal Bergoglio est né en 1936 dans le quartier de Flores, au cœur de Buenos Aires. En 1957, il entre dans la Compagnie de Jésus. Ses années d’études de théologie et de philosophie se déroulèrent en Argentine et au Chili. En décembre 1969, il fut ordonné prêtre. On ne peut le qualifier de carriériste ; il fut supérieur provincial des jésuites en Argentine de 1973 à 1979. Entre 1980 et 1986, il fut recteur de la Faculté de théologie de San Miguel. En 1992, il fut nommé évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Buenos Aires, dirigé alors par le cardinal Antonio Quarracino. À la mort de ce dernier, en 1998, Bergoglio devint le nouvel archevêque de Buenos Aires. Il fut créé cardinal par Jean-Paul II en 2001. Le 13 mars 2013, à 16h30, lors du quatrième tour de scrutin dans la chapelle Sixtine, au Vatican, il est élu nouveau pape. François hérite d’une mission immense, non seulement en raison de la fonction elle-même, mais à cause des grandes difficultés auxquelles l’institution fait face aujourd’hui. Ce sont des défis que le pape jésuite connaît bien ; il est important de semer, sans nécessairement voir les fruits immédiatement. François affirme : « Je me méfie des décisions prises de manière précipitée » (SPADARO, 2013, p.11). Lors de cette première année de pontificat, fut publiée l’encyclique Lumen Fidei, commencée par Benoît XVI.

En ces temps de néolibéralisme, rien n’est plus actuel que d’élaborer des enseignements sociaux face à des situations toujours nouvelles et de les annoncer de façon prophétique et critique. Le pape François, préoccupé par l’inachèvement du travail du Concile Vatican II, déclare que le commandement de ne pas tuer trace une limite claire pour garantir la valeur de la vie humaine ; ainsi, aujourd’hui, il faut dire « non à l’économie de l’exclusion et de l’inégalité sociale » (Evangelii Gaudium, n.53). L’exhortation apostolique du pape, Evangelii Gaudium, publiée en 2013, a suscité de vifs débats à travers le monde. D’un côté, nombreux sont ceux qui y voient une avancée majeure sur la question sociale ; de l’autre, des chefs d’entreprise, notamment américains, furent fortement mécontents des critiques adressées au capitalisme — critiques que Jean-Paul II avait déjà formulées. Dans cette exhortation, François dénonce le fait que « l’être humain est considéré en lui-même comme un bien de consommation que l’on peut utiliser puis jeter » (EG, n.53). Il s’agit donc d’une déclaration mais aussi d’un appel à actualiser Vatican II, en valorisant la dignité humaine et en disant, sans crainte, un immense non à la sacralisation du marché. Non à l’argent qui commande au lieu de servir.

Ce que le pape est en train d’accomplir correspond au rêve de Jean XXIII : que l’Église, sortie de Vatican II, soit proche des pauvres, afin que ceux-ci se sentent chez eux en son sein. Mais, dans le corpus documentaire du Concile, les pauvres sont absents. Les appauvris ne peuvent être oubliés dans la perspective d’une Église inspirée par Vatican II. Ce thème est évangéliquement toujours d’actualité, bien qu’il ait souvent été passé sous silence dans la société et même dans certains milieux ecclésiaux.

Le pape a démontré sa capacité à établir des relations avec les juifs, les musulmans et les fidèles d’autres confessions religieuses, dans une perspective d’ecclésiologie missionnaire : une Église en sortie, tournée vers la société et au service de l’humanité. Une Église qui sait écouter et accomplir l’urgente inculturation de la foi — inculturation longtemps freinée ces dernières années par la centralisation.

Un événement historique et emblématique du début de son pontificat fut la célébration de la XXVIIIe Journée Mondiale de la Jeunesse (juillet 2013), à Rio de Janeiro – Brésil. Ses discours, homélies, gestes et la présence massive de fidèles révélèrent la relation déjà caractéristique de ce pontificat : proche du peuple, non seulement par les mots mais aussi par une saine rébellion face à sa propre sécurité personnelle. Il visita les périphéries de la “cidade maravilhosa” et célébra au Sanctuaire d’Aparecida do Norte, à São Paulo. Il rencontra les Argentins dans la Cathédrale Saint-Sébastien de Rio de Janeiro. Partout où il passa, il laissa un signe distinct de l’évêque de Rome, marchant dans les pas de François d’Assise à la recherche de réformes de l’Église et d’une Église missionnaire. Cette même année, il visita également, en Italie, Cagliari, Assise, et effectua une visite emblématique à Lampedusa, où il prit la parole face à la tragédie mondiale de l’immigration et aux nombreuses morts en mer, notamment lors du naufrage de migrants africains.

En 2014, le pape visita la Turquie, Tirana (Albanie), le Parlement européen, la Corée du Sud et la Terre Sainte. En Italie, il visita Redipuglia, Caserte, Campobasso et Boiano, Isernia-Venafro et Cassano allo Ionio. Il convoqua et participa au Synode extraordinaire sur la famille en 2014, dont la continuité et la conclusion eurent lieu en octobre 2015. En 2015, il visita les Philippines, où plus de 6 millions de personnes assistèrent à la messe célébrée à Manille, ainsi que le Sri Lanka, l’Équateur, la Bolivie, le Paraguay, la Bosnie, Cuba, les États-Unis et l’Organisation des Nations Unies (ONU). En novembre, il visita encore le Kenya, l’Ouganda et la République centrafricaine. En Italie, il visita Prato, Florence, Turin, Pompéi et Naples en 2015.

« Lorsque j’insiste sur la frontière, je fais particulièrement référence à la nécessité, pour l’homme de culture, d’être inséré dans le contexte dans lequel il opère et sur lequel il réfléchit. Il existe toujours le danger de vivre dans un laboratoire », affirme encore François, ajoutant que « notre foi n’est pas une foi de laboratoire, mais une foi en chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, et non comme un recueil de vérités abstraites… il faut vivre à la frontière » (SPADARO, 2013, p. 33-34).

Dans une autre encyclique publiée en 2015, Laudato Si’ – Loué sois-tu, sur la sauvegarde de la maison commune, le pape offre une réflexion magistrale sur les débats concernant l’écologie intégrale. Le texte présente une analyse de la situation de la planète (pollution, climat, eau, biodiversité, détérioration de la vie et dégradation sociale). Ensuite, il aborde la Création et traite de la racine humaine de la crise écologique. Il s’agit sans aucun doute d’un document du magistère offrant une immense contribution et des critiques au système économique générateur de crises écologiques globales.

Dans sa bulle Misericordiae Vultus (2015), il invite à la réalisation du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, à célébrer entre le 8 décembre 2015 (fête de l’Immaculée Conception) et le 20 novembre 2016 (fête du Christ-Roi).

Ney de Souza, PUC São Paulo

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