Conscience

Résumé

1 “Conscience de soi” et “conscience”

1.1 Perspective psychologique

1.2 Perspective éthique

1.3 Perspective théologique

2 Perspective biblique

2.1 Ancien Testament

2.2 Nouveau Testament

3 Perspective historique

4 Développement et maturité de la conscience

5 Conscience dans une clé personnaliste, communautaire et prophétique

5.1 Conscience morale autonome et auto-transcendante

5.2 Conscience morale communautaire et ecclésiale

5.3 Conscience morale prophétique et libératrice

6 Rencontre de la moralité et de la spiritualité dans la conscience

7 Références bibliographiques

Dans l’expérience de la conscience, la personne libre perçoit sa capacité à discerner entre le bien et le mal pour décider de manière responsable. Dans la conscience chrétienne, l’expérience morale humaine de la responsabilité et l’expérience spirituelle chrétienne de vivre la foi et de marcher dans l’Esprit se rejoignent.

1 “Conscience de soi” et “conscience”

“Conscience de soi” (en anglais consciousness, en allemand Bewusstsein) et “conscience” (anglais, Conscience, allemand, Gewissen) se réfèrent à l’étymologie latine de conscientia : cum scientia, simul scire et à la grecque de syn-eidesis : “connaître-avec” ou connaissance autoréflexive, concomitante à la connaissance de quelque chose ou de quelqu’un. La “conscience de soi” est dite dans un sens physiologique et psychologique d’être dans un état conscient, éveillé et capable de se reconnaître dans ses actions et dans l’environnement. La “conscience” se dit, dans un sens moral ou religieux, de l’appréhension responsable de la valeur morale et spirituelle. Depuis les temps anciens, dans des cultures éloignées les unes des autres dans l’espace et le temps, il existe des expressions de la vie quotidienne sur la satisfaction du bien et le remords du mal, comme le montrent, par exemple, ces inscriptions : “Le cœur est témoin ; vous ne devez pas agir contre lui” (culture égyptienne) ; “Un Dieu invisible habite en nous” (culture hindoue) ; “Le meilleur de chaque humain, son cœur bon et ferme, pour avoir Dieu dans son cœur” (culture nahuatl).

1.1 Perspective psychologique

Dans la conscience psychologique, la personne, qui n’est pas une chose parmi d’autres choses, perçoit ses propres états d’âme et revient de manière réflexive sur elle-même, se reconnaissant consciemment comme sujet de sa vie psychique dans le monde, dans le temps et en relation avec d’autres personnes.

1.2 Perspective éthique

La conscience morale perçoit l’appel à réaliser les valeurs morales et à respecter les normes ; elle juge, exerçant avec prudence la raison pratique, ce qui doit ou ne doit pas être fait pour réaliser ces valeurs et appliquer les normes dans les circonstances concrètes de la vie quotidienne. Socrate se réfère à la voix du daimon qui le conseille. Sénèque l’appelle “observateur vigilant du bien et du mal en nous”. Confucius a dit qu’il avait toujours vécu “en écoutant la voix du ciel”. Pour Kant, c’est le “tribunal de la justice à l’intérieur de l’homme”. Considérée à partir de l’objet du jugement, la conscience est vraie ou erronée. Considérée à partir du sujet, elle est sincère ou insincère. Nous sommes appelés à suivre l’appel de la conscience tout en reconnaissant la possibilité de l’erreur et la nécessité de former ou de corriger la conscience. La conscience antécédente invite à faire le bien et à éviter le mal. La conscience conséquente confirme la satisfaction du bien accompli et réprouve le mal commis.

1.3 Perspective théologique

La conscience morale croyante s’identifie avec la foi qui intègre l’appel divin et exprime la réponse responsable pour vivre en pratiquant l’amour de charité (agapè) avec l’aide de la grâce. La conscience est une voix, une lumière et une force pour répondre à la réalité à partir de la foi ; elle capacite, guide et soutient le jugement prudentiel et la décision responsable (CURRAN, 2004, p.7). Elle est voix qui appelle à se laisser conduire par l’Esprit. Elle est lumière qui accompagne les processus de discernement et de délibération sur les valeurs, les normes et les circonstances. Elle est force pour décider et guérir, ou se réconcilier après avoir reconnu les erreurs dans la décision.

2 Perspective biblique

2.1 Ancien Testament

Dans la Bible hébraïque, “cœur et entrailles” sont des métaphores de la conscience. Dans la profondeur de l’intériorité, la foi reconnaît si “le cœur ne la réprouve pas” (Job 27,6). David “senti son cœur battre” de remords pour un comportement injuste (1 Sm 24,6 ; 2 Sm 24,10). Le psalmiste repentant clame : “Crée en moi, ô Dieu, un cœur pur, et renouvelle en moi un esprit droit (…) un cœur repentant et humilié, tu ne le méprises pas, ô Dieu” (Ps 51,12-18). Là, Dieu promet de graver sa parole : “Je mettrai ma loi dans leur intérieur, et je l’écrirai dans leur cœur” (Jr 31,33, cf. Dt 4,39). Jérémie annonce que “le péché est gravé sur la tablette du cœur” (Jr 17,1). Job se défend : “mon cœur ne me réprouve aucun de mes jours” (Job 27,6). La promesse de l’Esprit est : “Je leur donnerai un cœur nouveau et je leur infuserai un esprit nouveau. J’arracherai le cœur de pierre et je leur donnerai un cœur de chair” (Ez 11,19 ; 18,31 ; 36,26). Le Créateur, qui “voit le cœur” (1 Sm 16,7), est le “Dieu juste qui sonde le cœur et les entrailles” (Ps 7,10 ; Ps 139,1-7 ; cf. Ps 26,2 ; Jr 11,20 ; 17,10 ; 20,12).

2.2 Nouveau Testament

Jésus prêche la disposition intérieure du bon cœur, plutôt que l’extériorité de la conscience morale pharisaïque (Mt 15,7-20, Lc 11,37-42). “Ce qui sort du cœur de l’homme est ce qui souille” (Mc 7,21-23). “L’homme bon tire de bonnes choses du bon trésor qui est dans son cœur” (Lc 6,45). Il est temps de vivre avec un cœur nouveau : Dieu le transformera, répandant sans limites son Esprit (Lc 4,14-21 ; Jn 7,39, cf. Jl, 3,1-2). Paul a intégré la tradition hellénique sur la conscience (syneidesis) avec la présence intérieure et active de l’Esprit. “Ceux qui se laissent guider par la sagesse de l’Esprit tendent à ce qui est propre à l’Esprit” (Rm 8,5), qui illumine le discernement (Rm 14,16-23 ; 1 Tm 1,5 ; 1 Cor 2,6-16).

L’autonomie de la conscience morale de l’homme consiste à être une loi (nomos) pour lui-même (autos) : une loi non écrite, gravée dans les cœurs (Rm 2,14-15), qui se précise dans la conscience morale chrétienne comme autonomie théonomique, coïncidant avec le sens de vivre et de marcher dans l’Esprit. Paul soulève les questions morales pour une foi et une conscience adultes, en contraste avec la manière d’agir de l’enfant par peur du châtiment ou espoir de récompense (Rm 14,1-4), et souligne la cohérence de l’action avec la propre conviction, accentuant l’aspect communautaire et la répercussion de notre manière d’agir sur d’autres membres de la communauté (Rm 14,12). Dans ce texte, le mot clé est “conviction intérieure de foi” (pistis).

Paul a intégré la notion populaire et philosophique de conscience (syneidesis) à l’époque hellénique avec celle de la foi chrétienne, centrée sur l’activité de l’Esprit qui illumine le discernement et fortifie la décision. Mais le droit et le devoir d’agir en conscience se conjuguent avec le respect de la conscience des autres (1 Cor 8,1-13 et 10,23-33).

La conscience est la voix, guide et force de l’Esprit : une voix qui ne vient pas de l’extérieur, mais est entendue dans l’intériorité ; guide pour discerner avec prudence. “Heureux celui qui examine les choses et rend un jugement (…) ce qui ne vient pas de la conviction est péché” (Rm 14,23) ; force pour décider de manière responsable, dénoncer prophétiquement et témoigner courageusement (Mt 10,19-20).

3 Perspective historique

La tradition patristique prêchait la réponse fidèle à l’appel d’une conscience qui était à la fois humaine ou naturelle et chrétienne ou spirituelle ; mais les latins ont davantage accentué les images de la conscience comme tribunal, juge ou témoignage intérieur, tandis que les grecs préféraient la comparaison avec le pédagogue, le guide et l’accompagnateur.

La tradition monastique et mystique a cultivé le discernement selon la conscience qui se laisse guider par l’Esprit ; mais, dans les controverses médiévales sur la foi et la raison, on discourt, pour des raisons différentes, sur la morale vécue à partir de la foi par le chemin ascético-mystique et la morale pensée dans les disputes scolastiques. L’exemple en est la controverse sur les aspects subjectif et objectif de la conscience (Bernard vs. Abélard), qui a abouti à la synthèse thomiste d’une conscience illuminée par la loi nouvelle et intérieure de l’Esprit, pour vivre la première vertu théologale de la charité, à travers le discernement pratique selon la première vertu cardinale de la prudence.

La tradition scolastique distinguait la conscience comme capacité de discerner le bien et le mal (synderesis) et comme application concrète (syneidesis, conscientia). Thomas d’Aquin (In 2 Sent., disp. 24, q.2, a.4) a exposé cela sous forme syllogistique : la prémisse majeure, fruit de la synderesis ; la mineure, de la ratio, qui détermine le motif pour lequel telle action est mauvaise ; la conclusion, fruit du jugement de la conscientia.

À l’époque des manuels de théologie morale, à partir du XVIIe siècle, on tendait à réduire le rôle de la conscience à appliquer des principes de manière déductive, avec clarté et certitude pour imposer des normes et censurer les fautes.

Dans les controverses sur les systèmes moraux laxistes, rigoristes ou équilibrés (probabilisme, probabiliorisme, équiprobabilisme) pour surmonter les doutes dans le jugement et la décision morale, la conscience semblait être réduite à un instrument pour saisir la loi morale et l’appliquer. Cette approche a commencé au XIVe siècle (Ockham), par la mentalité volontariste, légaliste et extrinséciste, qui voyait la conscience comme un simple arbitre de la rencontre entre la loi objective et la décision subjective.

Les débats du XXe siècle, sur l’éthique de la situation, ont provoqué la réaction autoritaire du magistère ecclésiastique, mais ont redécouvert le discernement spirituel, oublié après le divorce entre théologie morale et théologie mystique.

Le Concile Vatican II a réaffirmé la tradition du discernement et a assumé l’autonomie d’une conscience mature, qui ne doit pas être confondue avec un surmoi ou une impulsion inconsciente freudienne (Gaudium et spes n.16-17, Dignitatis humanae, n.3 et 14).

Le développement rénovateur de la morale théologique post-conciliaire a avancé parallèlement à la crise de conscience suscitée par le rejet des méthodes anticonceptionnelles considérées comme “non naturelles” dans l’encyclique Humanae vitae. De nombreux évêques et théologiens ont remis en question l’accent excessif mis sur la relation entre le magistère ecclésiastique et la conscience obéissante (HÄRING, 1981 ; MCCORMICK, 1989, p.38-41). Mais cette crise a favorisé la réflexion sur la fonction de la conscience capable de différer de manière responsable : ne pas différer “de” l’église, mais différer “dans” l’église, se sentant église, pour collaborer de cette manière à l’évolution de la compréhension de la foi et de sa pratique. D’autre part, s’est développée, dans les décennies suivantes, une réaction opposée, de tendance restaurationniste, pour revenir à la manière de comprendre la conscience dans la théologie post-tridentine, comme exposé par le schéma De ordine morali, rédigé par la commission préparatoire, mais rejeté par le Concile.

L’encyclique de Jean-Paul II, Veritatis Splendor (VS, 1993), était préoccupée d’éviter l’opposition croissante entre les approches rénovatrices, qui cherchaient à récupérer la meilleure tradition de la conscience (cf. VS n.38, 41, 42) et les tendances antirénovatrices, qui mettaient l’accent sur l’autoritarisme du magistère ecclésiastique (voir VS n.53, 59, 82). Mais, affectée par la peur du relativisme et du subjectivisme de ces deux décennies, cette encyclique a en fait freiné la rénovation post-conciliaire, critiquant les courants théologiques de cette ligne (VS n.4, 5, 67, 90, 115). Les exhortations post-synodales du Pape François (Evangelii gaudiumEG et Amoris laetitiaAL) ont récupéré le changement de paradigme post-conciliaire en réaffirmant une morale de discernement (AL n.300-312), qui parle plus de grâce que de loi (EG n.38), centrée sur la charité et la miséricorde (EG n.37), respectant la gradualité et les limitations dans la croissance et la maturation de la conscience (EG n.44-45), accompagnant le discernement et aidant à former les consciences, mais sans prétendre les remplacer (AL n.37) ni les empêcher de penser, décider et aimer par et à partir d’elles-mêmes.

4 Développement et maturité de la conscience

La psychologie évolutive et la psychopédagogie (Piaget, Kohlberg) ont exploré le développement de la conscience morale chez l’individu. L’anthropologie culturelle, la sociologie et la psychanalyse (Durkheim,

Freud) ont étudié l’évolution du sens moral dans la diversité des époques et des cultures. Ces approches ont suggéré des stades de croissance, tant dans la conscience individuelle que dans l’histoire de l’espèce : prénomie, tabous, conditionnements hétéronomiques, subjectivité autonome, réciprocité et objectivité universalistes. Mais, tant biographiquement qu’historiquement, la complexité des avancées et des reculs empêche l’organisation de ces stades de croissance selon une séquence idéale homogène. Au lieu de cela, ils expriment l’aspiration à la maturité d’une conscience morale vue du sommet des réflexions actuelles. La psychothérapie appliquée à la spiritualité a présenté le développement vers la maturité en “cinq niveaux de conscience” ; 1) sensorielle (un ego indifférencié et dépendant) ; 2) individuelle (un ego autocentré indépendant) ; 3) personnelle (un sujet interdépendant, un “nous”) ; 4) cosmique (interdépendant avec solidarité universelle) ; et 5) éternelle (en communion avec l’absolu) (SÁNCHEZ-RIVERA, 1981).

Ces propositions diverses sur la genèse et le développement de la conscience convergent vers une notion dynamique et holistique de la conscience morale, qui conçoit la tâche et la méthode de l’éduquer. Plutôt que de réduire la conscience morale à reconnaître des mandats ou des interdictions et à récompenser le respect ou réprouver l’infraction, elle se révèle comme la graine de la capacité de saisir les valeurs morales personnelles et transcendantes. Si la voix de la conscience dit : deviens ce que tu es et es appelé à être, l’éducation morale devra faciliter le dynamisme de la croissance humaine pour comprendre et répondre aux valeurs personnelles, spirituelles et totales comme, par exemple, aimer et se laisser aimer, pardonner et se laisser pardonner, remercier et se laisser remercier.

5 La conscience dans une clé personnelle, communautaire et prophétique

La théologie morale post-tridentine, jusqu’au milieu du XXe siècle, en plus de continuer à se distancier de la théologie spirituelle, est également restée isolée des courants philosophiques de la conscience dans la modernité et la post-modernité, ne dialoguant pas avec la pensée moderne sur l’autoconscience (Descartes), ni avec l’autonomie, la catégorisation et l’universalité de la morale critique (Kant) ; ni avec les soupçons post-modernes contre la conscience (Nietsche et Freud) ; ni avec l’approche sur la voix de la conscience dans la phénoménologie existentielle et herméneutique (Sartre, Heidegger). Ces oublis et distanciements ont été récupérés dans les réflexions sur la conscience faites par ceux qui ont relu la tradition biblique, spirituelle et le meilleur de Saint Thomas et Kant, en l’articulant avec les contributions de la phénoménologie existentielle (Rahner, Fuchs, Lonergan), l’anthropologie herméneutique (Ricoeur) et les théories critiques de la société (Metz, Gutiérrez, Boff), donnant naissance à l’approche personnaliste, communautaire et libératrice vers laquelle se dirige la manière actuelle de comprendre la conscience. Cette conception de la conscience a mûri au fil des controverses post-conciliaires : morale de la foi vs. autonomie (GAZIAUX, 1995), le magistère ecclésiastique vs. l’assentiment et le dissentiment individuel (MIETH, 1994) et sur les théories de la libération (VIDAL, 2000).

5.1 Conscience morale autonome et auto-transcendante

La conscience est l’expression du meilleur de soi-même dans le noyau intime de la personne, clé de sa dignité. Pour la théologie, la conscience, c’est nous-mêmes, ultimement liés à Dieu par la foi en attitude d’écoute. Pour l’anthropologie morale, la conscience est la voix de l’authenticité qui nous appelle à être nous-mêmes. La voix que nous écoutons comme appel à l’authenticité de notre autonomie est, en fin de compte, la voix de Dieu (théonomie), mais d’un Dieu qui, par son Esprit, est dans notre intimité, non pas pour s’imposer de manière hétéronome, mais pour nous faire devenir autonomes (autonomie théonomique) (CAFFARENA, 1983, p.244). Si la conscience morale saisit le bien et le mal dans les actes libres comme impératif d’autoréalisation, la question radicale de “qui je veux être” sera plus importante que la question “que dois-je faire” ; en optant en conscience pour le bien, je me choisis comme un projet de personnalisation et d’humanisation (LÓPEZ AZPITARTE, 1994, p.52-54).

La conscience, à l’écoute de l’appel de l’Esprit qui la capacite à répondre, est la perception personnelle de la réponse appropriée. La profondeur de la réponse serait l’option fondamentale, et l’échec de la réponse serait le péché. La conscience est le centre de notre intériorité, l’arrière-plan des jugements et des décisions qui exercent la prudence. C’est ainsi que le sens de la conscience a été intimement lié au fait de percevoir explicitement ses propres attitudes de base et options fondamentales, clé de la cohérence et de la continuité de la vie morale du sujet. “Le sujet authentiquement personnel, converti intellectuellement, moralement, émotionnellement et religieusement, agit au plus haut niveau de conscience existentielle, morale et responsable” (LONERGAN, 1973, p.5).

5.2 Conscience morale communautaire et ecclésiale  

Un autre sens du préfixe con de “cons-cience”, suggère l’aspect social du discernement moral. Bien que la dernière étape d’un processus de discernement soit un jugement et une décision, dont la responsabilité est personnelle et intransférable, la contribution communautaire est inévitable tout au long du chemin vers la prise de décision, ainsi que dans la formation de la conscience. Les facettes du polyèdre de la conscience qui discerne sont : a) attitudes de base, b) données sur les circonstances, c) interprétation-réflexion, d) contraste-conseil, et e) décision personnelle, prudente et responsable (MASIÁ, 2015).

Dans les étapes précédant la décision, le point de vue communautaire joue un rôle important.

a) La communauté ecclésiale aide à configurer les attitudes de base de la foi, influençant la manière de percevoir la réalité, générant des habitudes de pensée, de valorisation et d’action, influençant ainsi les jugements moraux et les décisions. Celui qui croit a été éduqué dans une tradition dans laquelle il a reçu certaines orientations et critères. Les normes transmises traditionnellement sont une référence importante ; mais elles n’excluent pas la nécessité de penser et de décider par soi-même. La communauté aide à former la conscience et l’accompagne dans le discernement, mais ne la remplace pas.

b) La conscience ne fonctionne pas bien sans de bonnes données d’expérience de vie et des sciences. En maintenant les mêmes valeurs et principes, des conclusions différentes peuvent être déduites en fonction du changement des données. Seules avec des données, nous ne pouvons pas discerner, mais sans elles, nous ne pouvons pas faire un bon discernement. La communauté d’information et de communication, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église, aide à garantir ces données.

c) À partir des attitudes de base face aux valeurs et avec des données suffisantes, un jugement doit être émis dans chaque cas. Ici entre en jeu le rôle d’une pensée honnête qui interroge, analyse les données, interprète et ne cesse de chercher de manière créative et critique des réponses. Cette pensée n’évite ni ne remplace la foi, ni la science ou l’expérience.

d) Nous ne sommes pas seuls face à l’urgence de la décision. Nous avons besoin de l’aide d’autres personnes pour confronter les interprétations. Diverses communautés de personnes peuvent aider : par exemple, la communauté des chercheurs scientifiques ; la communauté du dialogue de pensée ; la communauté des relations humaines au sein d’une société plurielle ; les communautés partageant des convictions religieuses, etc. Dans le cadre de ces aides, s’inscrit le rôle d’orientation de ces dernières – qui ne doit jamais être dominant ou autoritaire – à partir des traditions communautaires, culturelles ou religieuses respectives. Cela nous aide à corriger le passage du temps

et la relation avec les autres personnes.

Les débats, à la fin du siècle dernier, dans l’Église, sur le sentir et le dissentir ont aidé à mûrir la conscience ecclésiale, au-delà des vieilles oppositions entre conscience individuelle et magistère ecclésiastique, dans la compréhension du rôle de l’accompagnement pastoral comme aide au discernement de la conscience, mais sans la remplacer pour décider à sa place. Le rôle de la communauté ecclésiale est d’aider à éduquer le jugement moral et la formation de la conscience des fidèles. En tant que porteuse d’une tradition en questions morales, l’Église a accumulé, au fil des siècles, une richesse de sagesse pratique qui fournit des orientations importantes lors du discernement. La conscience les respectera de manière critique, mais sans les considérer comme un entrepôt de réponses préfabriquées. La communauté de foi devient le lieu où ses membres peuvent dialoguer, étudier et discerner en commun les problèmes moraux. Le rôle de l’église, plus que de légiférer, est d’éclairer, à partir d’une dimension élevée, avec des propositions de valeurs. Parfois, elle devra prendre une position officielle sur des problèmes concrets, remplissant, devant la société, une fonction qui peut être, selon les cas, thérapeutique ou prophétique. Plus les problèmes sont concrets, moins les prises de position pourront être radicalement assertives. Respecter ces prises de position officielles de l’église ne signifie pas les suivre aveuglément, comme si elles nous exemptaient de penser et de décider consciemment.

e) Une décision responsable (qui n’est pas la même chose que correcte ou avec cent pour cent de certitude) serait celle qui prendrait dûment en considération les quatre étapes précédentes. Peut-être, après un certain temps, analyserons-nous la décision et découvrirons-nous qu’elle était erronée ; mais cela ne signifie pas qu’elle ait été irresponsable. En ce sens, c’était une décision éthiquement correcte. La conscience antécédente devra présupposer des attitudes de base de réponse aux valeurs, avant le processus mentionné d’information, de réflexion et de débat. Pendant le processus, la conscience doit également être une conscience accompagnée communautairement et ecclésialement. Après avoir traversé le processus, il est nécessaire d’assumer la responsabilité d’adopter des résolutions prudentes conscientes, qui ne doivent pas dépendre à cent pour cent de certitudes, ni être imposées à d’autres personnes. Lorsque nous voulons conjuguer le respect des personnes avec la fidélité aux normes, les conflits sont inévitables. Dans ces occasions, la sagesse pratique doit intervenir comme médiatrice. “La sagesse pratique”, dit Ricoeur, “consiste à inventer les conduites qui satisfont le mieux aux exceptions exigées par notre sollicitude pour les personnes, trahissant le moins possible les normes” (RICOEUR, 1990, p.312).

5.3 Conscience morale prophétique et libératrice

La théologie de la libération a revalorisé le rôle prophétique et libérateur de la conscience, tout en promouvant l’appel à la communauté croyante à devenir la voix des sans-voix et la conscience sociale qui dénonce la manipulation idéologique des consciences, l’oppression et l’exclusion des personnes, en plus de promouvoir la prise de conscience de cette situation. Le cri du peuple injuste (Ex 3,7), les dénonciations d’injustice par les prophètes (Am 5,18-24) et le message évangélique de proximité et de miséricorde (Lc 10 et Mt 25) se mettent à jour dans le contexte des théologies libératrices comme responsabilité de la conscience prophétique, pour reconnaître les injustices systémiques et les maux structurels qui exigent d’être dénoncés par la communauté solidaire avec les victimes. Cette conscience prophétique appelle non seulement à soulager la douleur et la pauvreté, mais à briser leurs causes sociales, structurelles, politiques et économiques. Cette conscience actualise, à partir de la foi, l’amour du prochain dans la lutte contre toute violence, racisme, exclusion, discrimination, etc. Elle ne le fait pas en demandant paternalement d’inclure le pauvre dans le système, mais en exigeant le changement du système qui exclut le pauvre. Cette conscience entend Dieu en écoutant le cri du pauvre, ce qui l’amènera à orienter son discernement et motivera ses décisions.

6 Rencontre de la moralité et de la spiritualité dans la conscience

La théologie mystique de Bonaventure voyait dans la conscience, capable de capter le bien, un mouvement amoureux de la volonté, plutôt qu’un jugement cognitif. Mais la conjugaison de la délibération éthique et du discernement spirituel s’est affaiblie à mesure que se renforçait la déconnexion entre la moralité et la spiritualité. Du XVIIe au XIXe siècle, la distance entre la morale des préceptes et la spiritualité des conseils évangéliques a grandi. Au milieu du XXe siècle, arrivent avec retard les tentatives de récupérer le dialogue de la morale théologique avec la spiritualité. La récupération de la tradition biblique du discernement et de la tradition philosophique réflexive aide à relier, tout en les différenciant, les fonctions respectives de l’expérience morale et de l’expérience religieuse.

La voix de la conscience, qui dicte ce qui doit être fait ou ne pas être fait, “sort des profondeurs de moi-même (…) c’est le cri de la réalité sur le chemin de l’absolu” (ZUBIRI, 2007, p.101-104). L’expérience métaphysico-religieuse de la religation et l’expérience morale de l’obligation sont diverses, mais reliées. “Nous sommes obligés à quelque chose parce que préalablement nous sommes reliés au pouvoir qui nous fait être”. (ZUBIRI, 2007, p.93). L’expérience de la religation est le fondement de la conscience morale de l’obligation. Le phénomène de la conscience ne se réduit pas à une obligation morale. La conscience ne se réduit pas à un phénomène moral. En elle, deux expériences différentes, la morale et la religieuse, sont intimement liées. “La voix de la conscience est (…) la palpitation et le battement de la divinité au sein de l’esprit humain” (ZUBIRI, 1997, p.66-67). L’expérience philosophiquo-religieuse de la “religation” fonde l’expérience morale de l’obligation. “Dieu est manifeste dans les profondeurs de chaque homme (…) dans la voix absolue de la conscience” (ZUBIRI, 1997, p.72-73). La dimension religieuse de la réalité personnelle se révèle dans la conscience, lieu de rencontre de la moralité et de la spiritualité.

Juan Masiá, SJ. Université Catholique Santo Tomas, Osaka (Japon).

 7 Références bibliographiques

 CURRAN, C. (éd.). Conscience. New York: Paulist Press,  2004.

GÓMEZ CAFFARENA, J. El teismo moral de Kant. Madrid: Cristiandad. 1983.

GAZIAUX, E. Morale de la foi et morale naturelle. Louvain: Ephem. Theol. Louvain. n.119, 1995.

HÄRING, B. Libertad y fidelidad en Cristo. Barcelona: Herder, 1981.

LONERGAN, B. Method in Theology. London: Darton, Longman, 1973.

LÓPEZ AZPITARTE, E. Fundamentación de la ética cristiana. México: San Pablo, 1994.

______. Hacia un nuevo rostro de la moral Cristiana. México: Universidad Iberoamericana, 2000.

McCORMICK, R. The critical calling. Washington: Georgetown Univ. Press, 1989.

MAHONEY J. The Making of Moral Theology. Oxford: Clarendon Press, 1987.

MASIÁ, J. Animal vulnerable. Madrid: Trotta, 2015.

MIETH, D. La teología moral fuera de juego.  Barcelona: Herder, 1994.

RICOEUR, P. Soi même comme un autre. Paris: Seuil, 1990.

SÁNCHEZ RIVERA, J. M. Integración psíquica y psicología humanística. Madrid: Marova, 1981.

VIDAL, M. Nueva moral fundamental. El hogar teológic de la ética. Bilbao: Desclée De Brouwer, 2000.

ZUBIRI, X. El problema filosófico de la historia de las religiones. Madrid: Alianza y Fundación Xavier Zubiri, 1993.

____. El hombre y Dios. Madrid: Alianza y Fundación Xavier Zubiri, 2007.

 Pour en savoir plus

 Bockle, Franz. Hacia una conciencia cristiana: conceptos basicos de la moral. Estella: Verbo Divino, 1981.

MAJORANO, S. A Consciência. Uma visão cristã. Aparecida: Santuário, 2000.

Ruf, Karl. Curso Fundamental de teologia moral: consciência e decisão. São Paulo: Loyola, 1994.

BURÓN OREJAS, Javier. Psicología y conciencia moral. Santander: Sal Terrae, 2010.

DUQUE, Roberto Esteban. La voz de la conciencia. Madrid: Encuentro, 2015.

DAMASIO, Antônio. O mistério da consciência: do corpo e das emoções ao conhecimento de si. São Paulo: Companhia das Letras, 2005.

DI BIASE, Francisco; AMOROSO, Richard. (orgs.) A revolução da consciência: novas descobertas sobre a mente no Século XXI. Petrópolis: Vozes, 2004.

GUARDINI, Romano. La coscienza. 4.ed. Brescia: Morcelliana, 1977.

GURWITSCH, Aron. El campo de la conciencia: un análisis fenomenológico. Madrid: Alianza, 1979.

HABERMAS, Jurgen. Conciencia moral y acción comunicativa. Madrid: Trotta, 2008.

KENNETH, Overberg. Consciência em conflito. São Paulo: Paulus, 1999.

LAIN, Vanderlei. Nova consciência: a autonomia religiosa pós-moderna. Recife: Libertas, 2008.

VAZ, Henrique C. L. A crise e verdade da consciência moral. Síntese, v.25, n.83, 1998. p.461-476.

LONERGAN, Bernard. La formazione della coscienza. Brescia: La Scuola, 2010.

MAJORANO, Sabatino. A consciência: uma visão cristã. Aparecida: Santuário, 2000.

PRIVITERA, S. Consciência. In: COMPAGNONI, F.; PIANA, G.; PRIVITERA, S. (orgs.) Dicionário de Teologia Moral. São Paulo: Paulus, 1997, pg. 137-153.

SEARLE, John R. The mystery of consciousness. New York: The New York Review of Books, 1997.

STRECK, Lenio Luiz. O que é isto – decido conforme minha consciência? Porto Alegre: Livraria do Advogado, 2010.

THOMPSON, William M. Christ and consciousness: exploring Christ’s contribution to human consciousness: the origins and development of christian consciousness. New York: Paulist Press, 1977.

VALADIER, Paul. Elogio da consciência. São Leopoldo: Unisinos, 2000.

WEBB, Eugene. Filósofos da consciência: Polanyi, Lonergan, Voegelin, Ricoeur, Girard, Kierkegaard. São Paulo: É Realizações, 2013.